Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/309

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les hommes a s’unir entre eux par des liens volontaires il n’y a rien qui se rapporte au point de réunion, que loin de se proposer un but de félicité commune, d’oi1 chacun puisse tirer la sienne,le bonheur de l’un fait le malheur d’un autre (a), si l’on voit enfin qu’au lieu de tendre tous au bien général ils ne se rapprochent entre eux que parce que tous s’en éloignent, on doit sentir aussi que quand méme un tel état pourrait subsister, il ne serait qu’une source de crimes et de miséres pour des hommes dont chacun ne verrait que son intérét, ne suivrait que ses penchants et n’écouterait que ses passions *.

Ainsi la douce voix de la nature n’est plus pour nous un guide infaillible, ni l’indépendance que nous avons recue d’elle un état dé- sirable; la paix et l’innocence nous ont échappé pour jamais avant que nous en eussions gotlté les délices; insensible aux stupides hommes des premiers temps, échappée aux hommes éclairés des temps postérieurs, l’heureuse vie de Page d’or fut toujours un état étranger a la race humaine, ou pour l’avoir méconnue quand elle en pouvait jouir, ou pour l’avoir perdue quand elle aurait pu le connaitre.

Il y a plus encore : cette parfaite indépendance et cette liberté sans régle, fut-elle méme demeurée jointe a l’antique innocence, aurait eu toujours un vice essentiel et nuisible au progrés de nos plus excellentes facultés, savoir le défaut de cette liaison des parties qui constitue le tout. La terre serait couverte d’hommes, entre lesquels il n’y aurait presque aucune communication; nous nous toucherions par quelques points, sans étre unis par aucun; chacun resterait isolé parmi les autres, chacun ne songerait qu’a soi; notre entendement ne saurait se développer, nous vivrions sans rien sentir, nous mourrions sans avoir vécu (b); tout notre bonheur consisterait a ne pas connaitre notre misére; il n’y aurait ni bonté dans nos coeurs, ni moralité dans nos actions, et nous n’aurions jamais gouté le plus délicieux sentiment de l’ame, qui est l’amour de la vertu (r).

  • ll est certain que le mot de genre humain n’offre a l’esprit qu’une

idée purement collective qui ne suppose aucune union réelle entre

opprimer le faible, rompt l’espece d'équilibre que la nature avait mis entre eux. De cette premiere contradiction découlent toutes celles qu’on remarque dans l`ordre civil, entre l'apparence et la réalité. Toujours la multitude sera sacrifiée an petit nombre et l’intér6t public a l’intérét particulier; toujours ces noms spécieux de justice et de subordination serviront d’instrument à la violence et d'armes à l‘iniquité. — Voir aussi le Discours sur l'inégalité.

(1) Alexeielf avait la vérilé.

(.1) Emile, liv. II. — Le précepte de ne jamais nuire A autrui emporte celni de tenir , A la société humaine le moins qu’il est possible, car dans l‘état social le bien de l’un fait _ nécessairement le mal de l’autre.

(b) R. Discours sur l'inégalité. Quel progres pourrait faire le genre humain épars l dans les bois parmi les animaux et iusqu’a quel point pourraient se perfectionner et { s’éclairer mutuellement, des hommes qui n’ayant aucun domicile Exe, ni aucun besoin · l’un de l’autre se rencontreraient peut—6tre ai peine deux fois en leur vie sans se con- ’ nattre et sans se parler. r E 1 I ` 1 _ l