Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/385

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F I l 312 DU CONTRAT SOCIAL. l La bienveillance qui nous fait prendre part au bonbeur de nos l semblables, la compassion qui nous identifie avec celui qui souffre et nous afflige de sa douleur seraient des sentiments inconnus et direc- , tement contraires a la nature. Ce serait un monstre qu’un homme ( sensible et pitoyable et nous serions naturellement ce que nous avous bien de la peine a devenir au milieu de la dépravation qui nous pour- suit. Le sophiste dirait en vain que cette mutuelle inimitié n’est pas innée et immédiate, mais fondée sur la concurrence inévitable du droit - de chacun pour toutes choscs, car le sentiment de ce prétendu droit ( n’est pas plus naturcl a l’homme que la guerre qu’il en fait naitre (a). >l< , . Je l’ai déja dit et ne puis trop le répéter, l’erreur de Hobbes et (n) des philosophes est de confondre l’h. naturel avec les hommes qu’i1s I ont sous les yeux et de transporter dans un systeme un étre qui ne peut _ subsister que dans un autre. L’h. veut son bien et tout ce qui peut y I contribuer, cela est incontestable (2). Mais, naturellement, le bien- étre de 1’homme se borne au nécessaire physique; car quand il a 1’ame saine et que son corps ne souffre pas, que lui manque-t-il pour étre heureux selon sa constitution (b)? Celui qui n’a rien désire peu de chose, celui qui ne commande a personne a peu d’ambition; mais le superflu éveille la convoitise (3) : plus on obtient, plus on désire. Celui qui a beaucoup, veut tout avoir et la folie de la monarchic * universelle n’a jamais tourmenté que le coeur d’un grand roi. Voila la marche de la nature; voila le développement des passions, un phi- losophe superliciel (4) observe des ames repétries et fermentées dans le levain de la société et croit avoir observé l’homme; mais pour le bien connaitre, il faut savoir déméler la gradation naturelle de ses 1 sentiments et ce n’est point chez les habitants d’une grande ville ) qu’il faut (5) chercher le premier trait de la nature dans l’empreinte l du cucur humain (c). Ainsi cette méthode analytique n’oH`re-t-elle a la raison qu’abimes i et mystéres ou le plus sage comprend le moins; qu’on demande pour- quoi les moi-:urs se corrompent a mesure que les esprits s’éclairent, n’en pouvant trouver la cause, ils auront le front de nier le fait; qu’on demande pourquoi les sauvages transportés parmi nous ne partagent ni nos passions (6) ni nos plaisirs et ne se soucient point de tout ce (1) De la plupurt. . 1 (2) D‘avoir pris. (3) (Pest ce qu’on a de trop qui rend les désirs immodérés. (4) Voi!. · (5) Qu'on voit distinct. (6) Ni notre avidité. (a) I.e passage entre croix est barré dans Ie manuscrit. (b) Discours sur Nnégalité. — Je voudrais bien qu’on m°expliqu§t quel peut étre le genre de misere d’un étre libre dont le cceur est en pai: et le corps en santé. l (c) Emile, liv. V. — Toutes les capitales se ressemblent, tous les peuples s’y mélent, toutes les mceurs s‘y confondent, ce n'est pas la qu’il faut aller étudier les nations.