Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/415

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342 DU CONTRAT SOCIAL. suffisant a son emploi, nul n`e1’lt été contraint de commettre in d’au- tres les fonctions dont il était chargé : un Etat ou tous les particu- liers se connaissant entre eux, les manuauvres obscures du vice ni la modestié de la vertu n’eussent pu se dérober aux regards et au juge- ment du public, et ou cette douce habitude de se voir et de se con- naitre fit de l’amour de la patrie l’amour des citoyens plutot que celui de la terre. J’aurais voulu naitre dans un pays ou le souverain et le peuple ne pussent avoir qu’un seul et méme intérét, afin que tous les mou- vements de la machine ne tendissent iamais qu’au bonheur commun; ce qui ne pouvant se faire, a moins que le peuple et le souverain ne soient une méme personne, il s’ensuit que j’aurais voulu naitre sous I un gouvernement démocratique, sagement tempéré. L J’aurais voulu vivre et mourir libre, c’est-in-dire tellement sou- mis aux lois que ni moi ni personne n’en put secouer Phonorable joug, ce ioug salutaire ct doux, que les tétes les plus Heres portent d’autant plus docilement, qu’elles sont faites pour n’en porter aucun autre. J ’aurais donc voulu que personne dans l’Etat n’eut pu se dire au- ~ delssus de la loi, et que personne an dehors n’en put imposer que l’Etat fut obligé de reconnaitre; car, quelle que puisse étre la consti- tution d’un gouvernement, s’il s’y trouve un seul homme qui ne soit pas soumis a la loi, tous les autres sont nécessairement a la discré- ti on de celui-la; et s’il y a un chefnational et un autre chef étranger, ' quelque partage d’autorité qu’ils puissent faire, il est impossible que l’un et l’autre soient bien obéis, et que l’Etat soit bien gouverné. Je n’aurais point voulu habiter une république de nouvelle insti- 1 tution, quelques bonnes lois qu’elle put avoir, de peur que le gou- vernement, autrement constitué peut-étre qu’il ne faudrait pour le moment, ne convenant pas aux nouveaux citoyens, ou les citoyens au nouveau gouvernement, l’Etat ne fut suiet a étre ébranlé et dé- truit presque des sa naissance; car il en est de la liberté comme de ces aliments solides et succulents, ou de ces vins généreux, propres a nourrir et fortiiier les tempéraments robustes qui en ont l’habitude, mais qui accablent, ruinent et enivrent les faibles et délicats qui n’y sont point faits. Les peuples, une fois accoutumés a des maitres, ne sont plus en état de s’en passer. S’ils tentent de secouer le joug, ils s’éloignent d’autant plus de la liberté que, prenant pour elle une _ licence eiirénée qui lui est opposée, leurs révolutions les livrent presque toujours a des séducteurs qui ne font qu’aggraver leurs chaines. Le peuple romain lui-méme, ce modéle des peuples libres, ne fut point en état de se gouverner en sortant de l’oppression des Tarquins. Avili par l’esclavage et les travaux ignominieux qu’ils lui avaient imposés, ce n’était d’abord qu’une stupide populace qu’il fallait ménager et gouverner avec la plus grande sagesse, afin que,