Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/421

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348 DU CONTRAT SOCIAL. oser répondre d’avance que les plus grands philosophes ne seront pas trop bons pour diriger ces experiences, ni les plus puissants sou- verains pour les faire; concours auquel il n’est guére raisonnable de s’attendre, surtout avec la persévérance, ou plut6t la succession de lumiéres et de bonnes volontés nécessaires de part et d’autre pour arriver au succes. Ces recherches si difficiles a faire, et auxquelles on a si peu songé jusqu’ici, sont pourtant les seuls moyens qui nous restent de lever une multitude de difficultés qui nous dérobent la connaissance des fondements réels de la société humaine. C’est cette ignorance de la nature de l’homme qui jette tant d’incertitude et d’obscurité sur la _ véritable définition du droit naturel : it car l’idée du droit, dit M. Bur- lamaqui, et plus encore celle du droit naturel, sont manifestemeut des idées relatives a la nature de l’homme. C’est donc de cette nature méme de l’homme, continue—t·il, de sa constitution et de son état, qu’il faut déduire les principes de cette science. » Ce n’est point sans surprise ei sans scandale qu’on remarque le peu d’accord qui régne sur cette importante matiére entre les divers auteurs qui en ont traité. Parmi les plus graves écrivains, a peine en trouve-t·on deux qui soient du méme avis sur ce point. Sans parler des anciens philosophes, qui semblent avoir pris at tache de se con- tredire entre eux sur les principes les plus fondamentaux, les juris- consultes romains assujettissent indifléremment l’homme et tous les autres animaux a la méme loi naturelle, parce qu’ils considerent plu- tot sous ce nom la loi que la nature s’impose a elle-méme, que celle qu’elle prescrit, ou plutot a cause de l’acception particuliére selon laquelle ces jurisconsultes entendent ce mot de loi, qu’ils semblent n’avoir pris en cette occasion que pour l’expression des rapports gé- néraux établis par la nature entre tous les étres animés pour leur commune conservation. Les modernes, ne reconnaissant, sous le nom de loi, qu’une régle prescrite a un étre moral, c’est-a·dire intelli- gent, libre, et considéré dans ses rapports avec d’autres étres, bor- nent conséquemment au seul animal doué de raison, c‘est-a-dire A 1’homme, la compétence de la loi naturelle; mais, délinissant cette loi chacun a sa mode, ils l’établissent tous sur des principes si métaphysiques, qu’il y a, méme parmi nous, bien peu de gens en état de comprendre ces principes, loin de pouvoir les trouver d’eux- mémes. De sorte que toutes les définitions de ces savants hommes, d’ai11eurs en perpétuelle contradiction entre elles, s’accordent seu- lement en ceci, qu’il est impossible d’entendre la loi de la nature, et, par conséquent, d’y obéir, sans étre un tres grand raisonneur et un profond métaphysicien : ce qui signifie précisément que les hommes ont du employer pour l‘établissement de la société les lumiéres qui ne se développent qu’avec beaucoup de peine, et pour fort peu de gens, dans le sein de la société méme.