Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/430

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APPENDICE IV. 357 et il ne fut plus bient6t possible de trouver un seul coin dans l’uni- vers ou 1’on put s’aH`ranchir du joug, et soustraire sa téte au glaive souvent mal conduit que chaque homme vit perpétuellement sus- pendu sur la sienne, le droit civil étant ainsi devenu la régle com- mune des citoyens, la loi de nature n’eut plus lieu qu’entre les diverses sociétés, ou, sous le nom de droit des gens, elle fut tempérée par quelques conventions tacites pour rendre le commerce possible et suppléer A la commisération naturelle, qui, perdant de société A · société presque toute la force qu’elle avait d’homme A homme, ne résl‘de plus que dans quelques grandes Ames cosmopolites qui fran- chissent les barrieres imaginaires qui séparent les peuples, et qui, A · l’exemple de l"EZtre souverain qui les a créés, embrassent tout le genre humain dans leur bienveillance. Les corps politiques, restant ainsi entre eux dans l’état de nature, se ressentirent bient6t des inconvénients qui avaient forcé les parti- culiers d’en sortir; et cet état devint encore plus funeste entre ces grands corps qu’il ne l_’avait été auparavant entre les individus dont ils étaient composés. De lA sortirent les guerres nationales, les ba- tailles, les meurtres, les représailles, qui font frémir la nature et choquent la raison, et tous ces préjugés horribles qui placent au rang des vertus l’honneur de répandre le sang humain. Les plus hon- nétes gens apprirent A compter parmi leurs devoirs celui d’égorger leurs semblables : on vit enlin les hommes se massacrer par milliers sans savoir pourquoi; et il se commettait plus de meurtres en un seul jour de combat, et plus d’horreurs A la prise d’une seule ville, qu’il ne s’en était commis dans l’état de nature, durant des siécles entiers, sur toute la surface de la terre. Tels sont les premiers effets qu’on entrevoit de la division du genre humain en diiférentes so- ciétés. Revenons A leur institution. Je sais que plusieurs ont donné d’autres origines aux sociétés po- litiques, comme les conquétes du plus puissant, ou l’union des faibles; et le choix entre ces causes est indifférent A ce que je veux établir : cependant celle que je viens d’exposer me paralt la plus naturelle par les raisons suivantes : 1° Que, dans le premier cas, le droit de conquéte n’étant point un droit, n’en a pu fonder aucun autre, le conquérant et les peuples conquis restant toujours entre eux dans l’état de guerre, A moins que la nation, remise en pleine liberté, ne choisisse volontairement son vainqueur pour son chef : jusque-IA, quelques capitulations qu’on ait faites, comme elles n’ont été fondées que sur la violence, et que par conséquent elles sont nulles par le fait méme, il ne peut y avoir, dans cette hypothése, ni véritable société, ni corps politique, ni d’autre loi que celle du plus fort; z° Que ces · mots de fort et de faible sont équivoques dans le second cas; que, dans l’intervalle qui se trouve entre 1’établissement du droit de pro- priété ou de premier occupant et celui des gouvernements politiques, l