Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/438

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APPENDICE IV. 365 taine, plus l’eflet augmentait; plus on pouvait compter de fainéants J dans une famille, et plus elle devenait illustre. Si c’était ici le lieu d’entrer dans des détails, i’expliquerais facile- ment comment, sans méme que le gouvernement s’en méle, l’inéga- lité de crédit et d’autorité devient inévitable entre les particuliers, sitot que, réunis en une méme société, ils sont forcés de se comparer entre eux, et de tenir compte des diiiérences qu’ils trouvent dans l’usage continuel qu’ils ont a faire les uns des autres. Ces différences sont de plusieurs espéces. Mais, en général, la richesse, la noblesse ou le rang, la puissance et le mérite personnel, étant les distinctions principales par lesquelles on se mesure dans la société, je prouverais que l’accord ou 1e conflit de ces forces diverses est l’indication la plus sure d’un Etat bien ou mal constitué : je ferais voir qu’entre ces quatre sortes d’inégalité, les qualités personnelles étant l’origine de toutes les autres, la richesse est la derniere a laquelle elles· se ré- ‘ duisent a la fin, parce que, étant la plus immédiatement utile au bien-étre et la plus iacile a communiquer, on s’en sert aisément pour acheter tout le reste; observation qui peut faire juger assez exacte- ment de la mesure dont chaque peuple s’est éloigné de soninstitution primitive, et du chemin qu’il a fait vers le terme extréme de la cor- ruption. Je remarquerais combien ce désir universel de réputation, d’honneurs et de préférences, qui nous dévore tous, exerce et com- pare les talents et les forces; combien il excite et multiplie les pas- sions, et combien, rendant tous les hommes concurrents, rivaux ou plutot ennemis, il cause tous les jours de revers, de succés et de ca- tastrophes de toute espéce, en faisant courir la méme lice a tant de prétendants. Je montrerais que c’est a cette ardeur de faire parler de soi, a cette fureur de se distinguer qui nous tient presque touiours hors de nous-mémes, que nous devons ce_ qu’il y a de meilleur et de pire parmi les hommes, nos vertus et nos vices, nos sciences et nos erreurs, nos conquérants et nos philosophes, c’est-a—dire, une mul- titude de mauvaises choses sur un petit nombre de bonnes. Je prou- verais enfin que si 1’on voit une poignée de puissants et de riches au ‘ faite des grandeurs et de la fortune, tandis que la foule rampe dans l’obscurité et dans la misére, c’est que les premiers n’estiment les choses dont ils jouissent qu’autant que les autres en sont privés, et que, sans changer d’état, ils cesseraient d’étre heureux si le peuple cessait d’étre misérable. Mais ces détails seraient seuls la matiére d’un ouvrage considé- rable, dans lequel on péserait les avantages ou les inconvénients dc tout gouvernement relativement aux droits de l’état de nature, et ou l’on dévoilerait toutes les faces difiérentes sous lesquelles Pinégalité s’est montrée iusqu’a ce jour, et pourra se montrer dans les siécles futurs, selon la nature de ces gouvernements et les révolutions que le temps y amenera nécessairement. On verrait la multitude oppri-