Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/440

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APPENDICB IV. 36-; rien, et que les sujets n’ayant plus d’autre loi que la volonté du mai- tre, ni lc maitre d’autre régle que ses passions, les notions du bien et les principes de Ia justice s’évanouissent derechef: c’est ici que tout se raméne a la seule loi du plus fort, et, par conséquent, a un nouvel état de nature diiférent de celui par lequel nous avons commencé, en ce que l’un était l’état de nature dans sa pureté, et que ce dernier est le fruit d’un excés de corruption. Il y a si peu de différence d’ailleurs entre ces deux états, et le contrat de gouvernement est tel- Iement dissous par le despotisme, que Ie despote n’est le maitre qu’aussi longtemps qu’il est le plus fort, et que sit6t qu’on peut l’expulser, il n’a point a réclamer contre la violence. L’émeute qui finit par étrangler ou détroner un sultan est un acte aussi juridique que ceux par lesquels il disposait la veille des vies et des biens de ses sujets. La seule force le maintenait, la seule force le renverse; toutes choses se passent ainsi selon l’ordre naturel; et, quel que puisse étre l’evénement de ces courtes et fréquentes révolutions, nul ne peut se plaindre de l’injustice d’autrui, mais seulement de sa propre imprudence ou de son malheur. En découvrant et suivant ainsi les routés oubliées ct perdues, qui de l’état naturel ont d0 mener I’homme a l’état civil, en rétablissant, avec les positions intermédiaires que je viens de marquer, celles que Ie temps qui me presse m’a fait supprimer, ou que l’imagination ne m’a point suggérées, tout lecteur attentif ne pourra qu’étre frappé de l’espace immense qui sépare ces deux états. C’est dans cette lente succession des choses qu’il verra la solution d’une infinité de pro- blemes de morale et de politique que des philosophes ne peuvent résoudre. Il sentira que, le genre humain d’un age n’étant pas le genre humain d’un autre age, la raison pourquoi Diogene ne trouvait point d’homme, c’est qu’il cherchait parmi ses contemporains I’homme d’un temps qui n’était plus. Caton, dira-t·il, périt avec Rome et la liberté, parce qu’il fut déplacé dans son siécle; et le plus grand des hommes ne fit qu’étonner le monde qu’il eut gouverné cinq cents ans plus tot. En un mot, il expliquera comment l’ame et les passions humaines, s’altérant insensiblement, changent pour ainsi dire de nature; pourquoi nos besoins et nos plaisirs changent d’objets a la longue; pourquoi, I’homme originel s’évanouissant par degrés, la société n’oft`re plus aux yeux du sage qu’un assemblage d’hommes artificiels et de passions factices q’ui sont l’ouvrage de toutes ces nouvelles relations, et n’ont aucun vrai fondement dans la nature. Ce que la réilexion nous apprend la·dessus, l’observation le conlirme parfaitement : I’homme sauvage et I’homme policé dill}- rent tellement par le fond du coeur et des inclinations, que ce qui fait le bonheur supréme de l’un réduirait l’autre au désespoir. Le premier ne respire que le repos et la liberté; il ne veut que vivre et rester oisif, et 1’ataraxie méme du stoicien n’approche pas de sa