Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/446

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` APPENDICE V. 373 force, que, quand meme le peuple voudrait bien souffrir qu’il s’ai’fran- chit du joug de la loi, il devrait se garder dc profiter d’une si dange- reuse prérogative, que d’autres s’eH`orceraient bientet d’usurper A leur tour, et souvent A son prejudice. Au fond, comme tous les enga- gements de la société sont réciproques par leur nature, il n’est pas possible de se mettre au·dessus de la loi sans renoncer A ses avan- tages; et personne ne doit rien A quiconque prétend ne rien devoir A personne. Par la meme raison nulle exemption de la loi ne sera jamais accordée, A quelque titre que ce puisse etre, dans un gouver- _ nement bien policé. Les citoyens memes qui ont bien mérité de la patrie doivent etre récompensés par des honneurs, et jamais par des privileges; car la république est A la veille de sa ruine, sitet que quelqu’un peut penser qu’il est beau de ne pas obéir aux lois. Mais si iamais la noblesse, ou le militaire, ou quelque autre ordre de l’Etat, adoptait une pareille maxime, tout serait perdu sans ressource. La puissance des lois dépend encore plus de leur propre sagesse. que de la sévérité de leurs ministres, et la volonté publique tire son plus grand poids de la raison qui l’a dictée : c’est pour cela que Pla- ton regarde comme une precaution tres importante de mettre touiours A la tete des édits un préambule raisonné qui en montre la justice et 1’utilité. En effet, la premiere des lois est de respecter les lois : la rigueur des chatiments n’e st qu’une vaine ressource imaginée par de petits esprits pour substituer la terreur A ce respect qu’ils ne pcuvcnt obtenir. On a toujours remarqué que les pays ou les supplices sont le . plus terribles sont aussi ceux on ils sont le plus fréquents; de sorte que la cruauté des peines ne marque guere que la multitude des infracteurs, et qu’en punissant tout avec la meme sévérité l’on force les coupables de commettre des crimes pour échapper A la punition de leurs fautes. Mais quoique le gouvernement ne soit pas le maitre de la loi, c’est beaucoup d’en étre le garant et d’avoir mille moyens de la faire aimer. Ce n’est qu’en cela que consiste le talent de régner. Quand on a la force en main, il n’y a point d’art A faire trembler tout le monde, et il n’y en a pas meme beaucoup A gagner les cmurs; car l’expérience a depuis longtemps appris au peuple A tenir grand compte A ses chefs de tout le mal qu’ils ne lui font pas, et A les adorer quand il n’en est pas hai. Un imbécile obéi peut, comme un autre, punir les forfaits : le véritable homme d’Etat sait les prévenir; c’est sur les volontés encore plus que sur les actions qu’il étend son respectable empire. S’il pou- vait obtenir que tout le monde fit bien, il n’aurait lui-meme plus rien A faire, et Ie chef-d’oeuvre de ses travaux serait de pouvoir rester oisif. Il est certain, du moins, que le plus grand talent des chefs est de déguiser leur pouvoir pour le rendre moins odieux, et de conduire 1’Etat si paisiblement qu’il semble n’avoir pas besoin de conducteurs. Je conclus donc que, comme le premier devoir du législateur est