Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/46

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n’a jamais dissimulé ses doctrines, ni même les conclusions les plus hardies qu’on en pouvait tirer ; ces conclusions sont écrites dans ses écrits ; mais il faut les chercher. Il ne les a pas présentées avec la rigueur d’un syllogisme, il montre les rameaux de ses idées, mais il en cache le tronc. Parfois même, il fait aux puissants du jour des politesses de forme qu’il ne faudrait pas prendre au sérieux. Surtout, il a renoncé de bonne heure à la satisfaction juvénile de faire parade de ses intentions. Reconnaissons enfin que ce sont ses intentions qui sont le principal mystère de son œuvre ; le raisonnement chez lui n’a qu’une valeur secondaire et accessoire ; c’est le moyen dont il se sert pour aller à son but et ce but c’est la révolution.

Rousseau était vraiment un homme de foi ; à elle seule, la très curieuse variante relevée par nous dans sa célèbre lettre au marquis de Mirabeau suffirait à le prouver[1] ; républicain, il l’est, il l’a toujours été, et malgré les déboires d’une vie agitée, il le sera jusqu’à son dernier souffle. Il ne veut pas seulement maintenir la république dans sa patrie. Il veut l’établir en France, et partout ; oui, l’établir par la force, car c’est le seul moyen de triompher de la coalition éternelle des intérêts et des préjugés.

Le raisonnement est un outil flexible qui se prête à tous les usages qu’en fait un dialecticien habile. Rousseau s’en est aperçu en lisant Hobbes, en s’indignant contre lui avec délices, en s’efforçant, dans une escrime de plume acharnée dont ses manuscrits portent la trace, de jouter contre ce rude adversaire. Pourtant, Hobbes avait de bonnes intentions, lui aussi ; il voulait établir la paix religieuse, ce qui, pour son temps surtout, déchiré par les guerres civiles, était un grand bienfait ; dans ce but, il fait appel au souverain, à cette puissance absolue d’un homme ou d’une assemblée, à ce Léviathan, à ce Dieu mortel, pour museler l’intolérance des sectes et la fureur des factieux. Mais cette au-

  1. Lettre du 26 juillet 1767… « Votre système économique est admirable… mais j’ai peur qu’il n’aboutisse à des pays bien différents de ceux où vous prétendez aller, aussi suis-je fâché de vous dire que tant que la monarchie subsistera en France, il n’y sera jamais adopté. » Les mots en italiques d’abord écrits par Rousseau dans le brouillon de la lettre qui se trouve à la Bibliothèque de Neuchâtel (n° 7901 du catalogue) n’ont pas été reproduits dans le texte imprimé de la correspondance.