Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/47

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torité sans bornes, qui devait rendre les hommes heureux, les a faits esclaves. La doctrine de Hobbes, interprétée par les gens d’église, est devenue, comme la satyre de Machiavel, une arme nouvelle entre les mains des tyrans. Pourquoi ? parce que la monarchie existait partout de fait et que cette puissance que Hobbes (il le dit formellement) conférait aussi bien aux républiques qu’aux monarchies, n’avait pu servir qu’à ces dernières et les fortifier. C’est donc la monarchie, la monarchie de droit divin, qu’il fallait tuer. Comment ? Par quels arguments ? Rousseau s’est servi d’un moyen à sa portée, celui de la convention. Il a ramassé ce lieu commun qui traînait partout ; il a montre avec une clarté saisissante et une vigueur de raisonnement incomparable que si cette convention originaire était unique, elle devait destituer le pouvoir royal de sa légitimité et réduire le monarque au rôle d’officier du peuple souverain. Le système était simple, d’une simplicité presque enfantine, mais la tactique était profonde ; son instinct de conspirateur solitaire avait bien servi Rousseau ; cette bombe mystérieusement enveloppée, qu’il plaçait à la base de l’ordre social, contenait un explosif assez puissant pour faire éclater l’ancien régime.

Mais la royauté renversée, l’église restait debout sur ses ruines. Rousseau a mesuré la force de cette puissance ; aussi, ne l’attaque-t-il pas de front comme les encyclopédistes et comme Voltaire ; il sait trop bien quel serait le résultat de cette lutte inégale. Mais il a compris tout le parti qu’ont su tirer les prêtres en mêlant adroitement l’idée de Dieu à celle de la religion et en faisant participer leurs pratiques superstitieuses de tout le respect que les hommes témoignent partout à l’Être suprême. C’est cette confusion qu’il veut faire cesser ; il proteste de sa vénération pour la divinité, mais il attaque ses ministres ; il se prosterne devant sa majesté, mais il renverse ses autels ; il réduit le culte aux simples termes d’un serment civique et d’une profession de foi morale. Dieu n’est plus qu’un prince sans État que la loi a détrôné et, comme Platon le poète, Rousseau reconduit Jésus, couronne de fleurs, aux frontières de sa République.

Nous ne jugeons pas ici les idées de Rousseau. Nous essayons de les expliquer, à notre manière, après avoir fait connaitre ses