Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/53

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différentes qui ont leur vie propre et leur individualité. Des deux parts, ce sont les mêmes idées, mais c’est un autre livre. Comme le tisseur de Platon, les fils que l’écrivain enchevêtre d’une main habile il les prend un peu de partout, mais le tissu qu’il en compose est bien son œuvre. Jean-Jacques Rousseau est peut-être le plus grand artiste en pensées du XVIIIe siècle.

Ses ennemis pourront dire ce qu’on retrouve partout la base et les détails de son Contrat social »[1], que tout le venin de son livre est dans la servitude volontaire de La Boétie[2] ; il n’est pas moins vrai que ces idées[3], c’est Rousseau qui les a pour la première fois lancées du Forum, avec une éloquence incomparable, devant l’auditoire du monde entier ; pour la première fois, dans son écrit immortel, le principe de la souveraineté nationale se dresse victorieusement en face du dogme vingt fois séculaire de la monarchie de droit divin ; pour la première fois, le caractère universel de la loi et sa puissance infinie sont établis en termes indestructibles ; pour la première fois, les différences du pouvoir délibérant et de l’exécutif sont marquées en traits si nets, si vifs et si fermes que cette image ne s’effacera plus de l’imagination populaire. Et cet apôtre est un optimiste. Son système n’est pas l’optimisme mondain qui prend aisément son parti de l’état social tel qu’il est avec ses imperfections et ses vices ; mais l’optimisme philosophique pour qui le tout est bien et l’homme perfectible ; et qui ne fait le procès de la société actuelle que pour la conduire à un état nouveau qui doit faire son bonheur, et qui sera le règne de la justice et de la vertu. Misanthropie si l’on veut ; mais cette misanthropie est celle du philanthrope qui souffre des maux dont il est témoin et auxquels il cherche a porter remède ; et qui, tacticien habile, gagne les cœurs pour entraîner les esprits, annonce la Révolution pour l’amener ;

  1. Diderot, Essai sur les règnes de Claude et de Néron.
  2. Cajot, Les Plagiats de J.-J. R. de Genève, sur l’éducation. La Haye, 1766.
  3. L’abbé Dulaurens prétend que le Contrat social est copié mot pour mot d’un jurisconsulte du XVIIe siècle, Ulric Hubert (De Jure Civitatis, libri tres, Franekerae, excudit Johannes Wellens). Nous avons consulté cet ouvrage et bien d’autres. Ils se ressemblent tous et, si l’on veut, le Contrat, pour quelques idées, leur ressemble aussi. Je ne sais si Rousseau les a connus ; mais il faut être un érudit pour comparer sans rire Ulric à Jean-Jacques.