Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/69

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ils liés au père qu’aussi longtemps qu’ils ont besoin de lui pour se conserver. Sitôt que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout[1]. Les enfants, exempts de l’obéissance qu’ils devaient au père, le père, exempt des soins qu’il devait aux enfants, rentrent tous également dans l’indépendance. S’ils continuent de rester unis, ce n’est plus naturellement, c’est volontairement ; et la famille elle-même ne se maintient que par convention[2].

Cette liberté commune est une conséquence de la nature de l’homme[3]. Sa première loi est de veiller à sa propre conservation, ses premiers soins sont ceux qu’il se doit à lui-même ; et sitôt qu’il est en age de raison, lui seul étant juge des moyens propres à se conserver, devient par là son propre maître.

La famille est donc, si l’on veut, le premier modèle des

  1. Hobbes, De Cive, chap. viii. — Le droit sur les bêtes s’acquiert de la même façon que sur les hommes, à savoir, par la force et par les puissances naturelles.

    Id., chap.ix. — Le droit de nature veut que le vainqueur soit maître et seigneur du vaincu. D’où s’ensuit que par le même droit un enfant est sous la domination immédiate de celui qui le premier le tient en sa puissance. Or est-il que l’enfant qui vient de naître est en puissance de sa mère avant qu’en celle d’aucun autre, de sorte qu’elle le peut élever ou l’exposer, ainsi que bon lui semble et sans qu’elle en soit responsable à personne. Si, par le contrat de mariage, la femme s‘oblige à vivre sous la puissance de son mari, les enfants communs seront sous la domination paternelle à cause que cette même domination étant déjà sur la mère…

    Locke, Gouvernement civil, chap. v. — Lorsqu’il est parvenu à cet état qui a rendu son père homme libre, le fils devient homme libre aussi.

  2. Locke, Gouvernement civil, chap. v. Du pouvoir paternel. — Il y a apparence que le gouvernement du père fût établi par un consentement exprès ou tacite des enfants.
  3. Grotius, Du Droit de la guerre et de la paix, liv. III, chap. v. — Quoique le pouvoir paternel soit tellement personnel et attaché à la relation de père qu’il ne peut en être séparé ni transporté à autrui, cependant, à en juger par le droit naturel tout seul et indépendamment de la défense des lois civiles, rien n’empêche qu’un père n’engage et ne vende même, s’il le faut, son propre fils lorsqu’il ne trouve pas d’autre moyen de le faire subsister. En effet la nature même est censée donner droit de faire tout ce sans quoi on ne peut obtenir une fin qu’elle prescrit…

    Algernon Sidney, Discours sur le Gouvernement, chap. ii, section 20. — Tous les hommes du monde étant nés également libres, il ne faut pas imaginer que les uns soient d’humeur à résigner ce qui leur appartient si les