Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/71

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n’aliènent leur liberté que pour leur utilité[1]. Toute la différence est que, dans la famille, l’amour du père pour ses enfants le paye des soins qu’il leur rend ; et que, dans l’État, le plaisir de commander supplée à cet amour que le chef n’a pas pour ses peuples.

Grotius nie que tout pouvoir humain soit établi en faveur de ceux qui sont gouvernés : il cite l’esclavage en exemple[2]. Sa plus constante manière de raisonner est

    encore l’autorité royale et les hommes n’ont jamais manqué de donner leurs habitudes aux dieux, de même qu’ils les représentent à leur image.

    Bodin, La République, liv. I, chap. vi. — La seconde partie de la définition de république que nous avons posée touche la famille qui est la vraie source et origine de toute république et membre principal d’icelle…

    Tout ainsi donc que la famille bien conduite est la vraie image de la république, et la puissance domestique semble à la puissance souveraine ; aussi est-ce le droit gouvernement de la maison le vrai modèle du gouvernement de la république. Et tout ainsi que les membres, chacun en particulier, faisant leur devoir, tout le corps se porte bien, aussi les familles étant bien gouvernées, la république ira bien.

  1. Bodin, La République, liv. I, chap. iv. — Le mot de puissance est propre à tous ceux qui ont pouvoir de commander à autruy. Ainsi le prince, dit Sénèque, commande aux sujets, le magistrat aux citoyens, le père aux enfans, le maistre aux disciples, le capitaine aux soldats, le seigneur aux esclaves. Mais de tous ceux-là, il n’y en a pas un à qui la nature donne aucun pouvoir de commander et moins encore d’asservir autruy, hormis au père qui est la vraie image du grand Dieu souverain.
  2. Grotius, Le Droit de la guerre et de Ia paix, liv. I, chap. iii. — On tire un autre argument de ce que disent les philosophes, que tout pouvoir est établi en faveur de ceux qui sont gouvernés et non pas en faveur de ceux qui gouvernent, d’où il s’ensuit, à ce que l’on prétend, que ceux qui sont gouvernés sont au-dessus de ceux qui gouvernent, puisque la fin est plus considérable que les moyens. Mais il n’est pas vrai généralement et sans restrictions que tout pouvoir soit établi en faveur de ceux qui sont gouvernés. Il y a des pouvoirs qui, par eux-mêmes, sont établis en faveur de celui qui gouverne, comme le pouvoir d’un maître sur son esclave…

    Il y a d’autres pouvoirs qui tendent à l’utilité commune de celui qui commande et de celui qui obéit, comme l’autorité du mari sur sa femme. Aussi, rien n’empêche qu’il n’y ait des gouvernements civils qui soient établis pour l’avantage du souverain, comme les royaumes qu’un prince acquiert par droit de conquête sans que pour cela on puisse traiter ces gouvernements de tyranniques… Il y en peut aussi avoir d’autres dont l’établissement ait pour but l’utilité réciproque du souverain et des sujets, comme quand un peuple qui ne se sent pas en état de se défendre, se met sous la domination d’un prince puissant. Je ne nie pas, du reste, que dans l’établissement de la plupart des gouvernements civils, on ne se propose directement l’utilité des sujets ; mais, il ne s’ensuit pas, comme on le veut,