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Histoire critique de la rédaction des confessions


mémoire« ; c’est pourquoi il ne lut pas les six premiers livres, qui contiennent l’histoire de ses »fautes et erreurs«, et qu’il »se borna . . . à faire . . . le narré fidèle de tout ce qui lui était arrivé depuis son entrée en France (1742) jusqu’à son départ de Montmorency« (1762). [1] C’est à dire qu’il ne lut que les livres VII—XI de ses Confessions. Dans les deux dernières conférences il n’a lu non plus que cette même partie. En effet, les conférences ayant duré, suivant la relation de Dusaulx, chacune dix-sept heures, avec de courtes interruptions, et Rousseau ayant lu par heure de treize à quatorze pages, il n’a pu achever tout au plus que les 230 pages, que les livres VII à XI ont dans l’édition de ses œuvres de 1872. [2]

  1. Voyez note 150.
  2. Nous connaissons quatre relations sur les lectures des Confessions de Rousseau ; 1) La relation de Dorat, réimprimée dans l’édition des Oeuvres de J.-J. Rousseau, Genève M.DCC.LXXXII. 2) La relation du comte Barruel-Beauvert dans sa Vie de J.-J. Rousseau 1789 p. 388 etc. Elle est fondée sur la tradition orale et probablement sur des informations de Dusaulx et de Le Mierre ou plutôt de Le Mierre seul. (Vovez p. 390.) 3) La relation de Mercier dans son ouvrage intitulé : De J.-J. Rousseau, considéré comme un des premiers auteurs de la révolution Paris 1791 ; (II. 266.) Elle n’est rien autre qu’un plagiat du comte Barruel-Beauvert , Vie de J.-J. Rousseau. 4) La relation de Dusaulx dans sa brochure: »De mes rapports avec J.-J. Rousseau« 1798.
    La plus ancienne et la plus fidèle de ces quatre relations est celle de Dorat. La voici :
    Extrait du Journal de Paris du 9 août 1778 Nr. 221.

    Il y a sept ou huit ans, Messieurs, qu’après avoir entendu les Mémoires de J.-J. Rousseau, j’écrivis la lettre que je vous envoie, a une femme digne d’apprécier ce grand homme. Je ne sais par quel hasard je l’ai retrouvée imprimée dans un papier public. Je vous la fais passer telle que je l’ai écrite , et je vous prie de vouloir bien l’insérer dans le Journal de Paris.

    À trois heures après minuit. Je rentre chez moi, Madame, ivre de plaisir et d’admiration ; je comptais sur une séance de 8 heures, elle en a duré 14 ou 15 [selon Dusaulx 17 et selon Barruel-Beauvert 18], nous nous sommes assemblés à 9 heures du matin [selon Dusaulx a 6 heures et selon Barruel à 7 heures du matin], et nous nous séparons à l’instant sans qu’il y ait eu d’intervalle à la lecture que ceux du repos dont les instans, quoique rapides, nous ont encore paru trop longs. Ce sont les mémoires de sa vie que Rousseau nous a lus. Quel ouvrage! Comme il s’y peint, et comme on aime à l’y reconnaître! Il y avoue ses bonnes qualités avec un orgueil bien noble, et ses défauts avec une franchise plus noble encore. Il nous a arraché des larmes par le tableau pathétique de ses malheurs et de ses faiblesses, de sa confiance payée d’ingratitude, de tous les orages de son cœur sensible, tant de fois blessé par la main caressante de l’hypocrisie, surtout de ces passions si douces qui plaisent encore à l’âme quelles rendent infortunée. J’ai pleuré de bon cœur; je me faisais uni volupté secrète de vous offrir ces larmes d’attendrissement auxquelles ma situation actuelle a peut-être autant de part que ce que j’entendais. Le bon Jean-Jacques, dans ces Mémoires divins, fait d’une femme [Mad. d’Houdetot] qu’il a adorée, un portrait si enchanteur, si aimable, d’un coloris si frais et si tendre, que j’ai cru vous y reconnaître ; je jouissait de cette délicieuse ressemblance, et et plaisir était pour moi seul. Quand on aime, On a mille puissances que les indifférens ne soupçonnent même pas, et pour lesquelles les témoins disparaissent.