Page:Rousseau - Les Confessions, Launette, 1889, tome 2.djvu/284

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ne payai pas mon écot, parce que M. de Jonville nous donnait à souper ; et je ne donnai rien à ces filles, parce que je ne leur fis point gagner, comme à la padoana, le payement que j’aurais pu leur offrir. Nous sortîmes tous assez gais, et de très bonne intelligence. Sans être retourné chez ces filles, j’allai trois ou quatre jours après dîner chez M. de Jonville, que je n’avais pas revu depuis lors, et qui me fit l’accueil que j’ai dit. N’en pouvant imaginer d’autre cause que quelque malentendu relatif à ce souper, et voyant qu’il ne voulait pas s’expliquer, je pris mon parti et cessai de le voir ; mais je continuai de lui envoyer mes ouvrages : il me fit faire souvent des compliments ; et l’ayant un jour rencontré au chauffoir de la Comédie, il me fit, sur ce que je n’allais plus le voir, des reproches obligeants, qui ne m’y ramenèrent pas. Ainsi cette affaire avait plus l’air d’une bouderie que d’une rupture. Toutefois ne l’ayant pas revu, et n’ayant plus ouï parler de lui depuis lors, il eût été trop tard pour y retourner au bout d’une interruption de plusieurs années. Voilà pourquoi M. de Jonville n’entre point ici dans ma liste, quoique j’eusse assez longtemps fréquenté sa maison.

Je n’enflerai point la même liste de beaucoup d’autres connaissances moins familières, ou qui, par mon absence, avaient cessé de l’être, et que je ne laissai pas de voir quelquefois en campagne, tant chez moi qu’à mon voisinage, telles, par exemple, que les abbés de Condillac, de Mably, MM. de Mairan, de Lalive, de Boisgelou, Watelet, Ancelet, et d’autres qu’il serait trop long de nommer. Je passerai légèrement aussi sur celle de M. de Margency, gentilhomme ordinaire du roi, ancien membre de la coterie holbachique, qu’il avait quittée ainsi que moi, et ancien ami de madame d’Épinay, dont il s’était détaché ainsi que moi ; ni sur celle de son ami Desmahis, auteur célèbre, mais éphémère, de la comédie de l’Impertinent. Le premier était mon voisin de campagne, sa terre de Margency étant près de Montmorency. Nous étions d’anciennes connaissances ; mais le voisinage et une certaine conformité d’expériences nous rapprochèrent davantage. Le second mourut peu après. Il avait du mérite et de l’esprit ; mais il était un peu l’original de sa comédie, un peu fat auprès des femmes, et n’en fut pas extrêmement regretté.

Mais je ne puis omettre une correspondance nouvelle de ce