Page:Rousseau - Les Confessions, Launette, 1889, tome 2.djvu/340

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que je regardais comme une façon de premier ministre et quand le bruit courut que, d’elle ou de lui, l’un des deux expulserait l’autre, je crus faire des vœux pour la gloire de la France, en en faisant pour que M. de Choiseul triomphât. Je m’étais senti de tout temps, pour madame de Pompadour, de l’antipathie, même quand, avant sa fortune, je l’avais vue chez madame de la Poplinière, portant encore le nom de madame d’Étioles. Depuis lors, j’avais été mécontent de son silence au sujet de Diderot et de tous ses procédés par rapport à moi, tant au sujet des Fêtes de Ramire et des Muses galantes, qu’au sujet du Devin du village, qui ne m’avait valu, dans aucun genre de produit, des avantages proportionnés à ses succès ; et, dans toutes les occasions, je l’avais toujours trouvée très peu disposée à m’obliger, ce qui n’empêcha pas le chevalier de Lorenzi de me proposer de faire quelque chose à la louange de cette dame, en m’insinuant que cela pourrait m’être utile. Cette proposition m’indigna d’autant plus, que je vis bien qu’il ne la faisait pas de son chef, sachant que cet homme, nul par lui-même, ne pense et n’agit que par l’impulsion d’autrui. Je sais trop peu me contraindre pour avoir pu lui cacher mon dédain pour sa proposition, ni à personne mon peu de penchant pour la favorite ; elle le connaissait, j’en étais sûr, et tout cela mêlait mon intérêt propre à mon inclination naturelle, dans les vœux que je faisais pour M. de Choiseul. Prévenu d’estime pour ses talents, qui étaient tout ce que je connaissais de lui ; plein de reconnaissance pour sa bonne volonté ; ignorant d’ailleurs totalement dans ma retraite ses goûts et sa manière de vivre, je le regardais d’avance comme le vengeur du public et le mien ; et, mettant alors la dernière main au Contrat social, j’y marquai, dans un seul trait, ce que je pensais des précédents ministères et de celui qui commençait à les éclipser. Je manquai, dans cette occasion, à ma plus constante maxime ; et, de plus, je ne songeai pas que quand on veut louer ou blâmer fortement dans un même article, sans nommer les gens, il faut tellement approprier la louange à ceux qu’elle regarde, que le plus ombrageux amour-propre ne puisse y trouver de quiproquo. J’étais là-dessus dans une si folle sécurité, qu’il ne me vint pas même à l’esprit que quelqu’un pût prendre le change. On verra bientôt si j’eus raison.

Une de mes chances était d’avoir toujours dans mes liaisons des