Page:Rousseau - Les Confessions, Launette, 1889, tome 2.djvu/431

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on trouvera le manuscrit parmi mes papiers, et dont il faut dire ici le sujet.

Dans la plus grande fureur des décrets et de la persécution, les Genevois s’étaient particulièrement signalés en criant haro de toute leur force ; et mon ami Vernes entre autres, avec une générosité vraiment théologique, choisit précisément ce temps-là pour publier contre moi des lettres où il prétendait prouver que je n’étais pas chrétien. Ces lettres, écrites avec un ton de suffisance, n’en étaient pas meilleures, quoiqu’on assurât que le naturaliste Bonnet y avait mis la main : car ledit Bonnet, quoique matérialiste, ne laisse pas d’être d’une orthodoxie très-intolérante sitôt qu’il s’agit de moi. Je ne fus assurément pas tenté de répondre à cet ouvrage ; mais l’occasion s’étant présentée d’en dire un mot dans les Lettres de la montagne, j’y insérai une petite note assez dédaigneuse qui mit Vernes en fureur. Il remplit Genève des cris de sa rage, et d’Ivernois me marqua qu’il ne se possédait pas. Quelque temps après parut une feuille anonyme, qui semblait écrite, au lieu d’encre, avec l’eau du Phlégéton. On m’accusait, dans cette lettre, d’avoir exposé mes enfants dans les rues, de traîner après moi une coureuse de corps de garde, d’être usé de débauche, pourri de vérole, et d’autres gentillesses semblables. Il ne me fut pas difficile de reconnaître mon homme. Ma première idée, à la lecture de ce libelle, fut de mettre à son vrai prix tout ce qu’on appelle renommée et réputation parmi les hommes, en voyant traiter de coureur de bordel un homme qui n’y fut de sa vie, et dont le plus grand défaut fut toujours d’être timide et honteux comme une vierge, et en me voyant passer pour être pourri de vérole, moi qui non-seulement n’eus de mes jours la moindre atteinte d’aucun mal de cette espèce, mais que des gens de l’art ont même cru conformé de manière à n’en pouvoir contracter. Tout bien pesé, je crus ne pouvoir mieux réfuter ce libelle qu’en le faisant imprimer dans la ville où j’avais le plus vécu ; et je l’envoyai à Duchesne pour le faire imprimer tel qu’il était, avec un avertissement où je nommais M. Vernes, et quelques courtes notes pour l’éclaircissement des faits. Non content d’avoir fait imprimer cette feuille, je l’envoyai à plusieurs personnes, et entre autres à M. le prince Louis de Wirtemberg, qui m’avait fait des avances très-honnêtes, et avec lequel j’étais