Page:Rousseau - Les Confessions, Launette, 1889, tome 2.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tifié toutes les fautes échappées nécessairement dans une composition si rapide d’une simple esquisse, que vous n’ayez suppléé à tout.

« Je me souviens qu’entre autres balourdises, il n’est pas dit, dans ces scènes qui lient les divertissements, comment la princesse Grenadine passe tout d’un coup d’une prison dans un jardin ou dans un palais. Comme ce n’est point un magicien qui lui donne des fêtes, mais un seigneur espagnol, il me semble que rien ne doit se faire par enchantement. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien revoir cet endroit, dont je n’ai qu’une idée confuse. Voyez s’il est nécessaire que la prison s’ouvre, et qu’on fasse passer notre princesse de cette prison dans un beau palais doré et verni, préparé pour elle. Je sais très-bien que tout cela est fort misérable, et qu’il est au-dessous d’un être pensant de faire une affaire sérieuse de ces bagatelles ; mais enfin, puisqu’il s’agit de déplaire le moins qu’on pourra, il faut mettre le plus de raison qu’on peut, même dans un mauvais divertissement d’opéra.

« Je me rapporte de tout à vous et à M. Ballod, et je compte avoir bientôt l’honneur de vous faire mes remerciements, et de vous assurer, monsieur, à quel point j’ai celui d’être, etc. »

Qu’on ne soit pas surpris de la grande politesse de cette lettre, comparée aux autres lettres demi-cavalières qu’il m’a écrites depuis ce temps-là. Il me crut en grande faveur auprès de M. de Richelieu ; et la souplesse courtisane qu’on lui connaît l’obligeait à beaucoup d’égards pour un nouveau venu, jusqu’à ce qu’il connût mieux la mesure de son crédit.

Autorisé par M. de Voltaire et dispensé de tous égards pour Rameau, qui ne cherchait qu’à me nuire, je me mis au travail, et en deux mois ma besogne fut faite. Elle se borna, quant aux vers, à très-peu de chose. Je tâchai seulement qu’on n’y sentît pas la différence des styles ; et j’eus la présomption de croire avoir réussi. Mon travail en musique fut plus long et plus pénible : outre que j’eus à faire plusieurs morceaux d’appareil, et entre autres l’ouverture, tout le récitatif dont j’étais chargé se trouva d’une difficulté extrême, en ce qu’il fallait lier, souvent en peu de vers et par des modulations