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Les Exploits d’Iberville

moëlleuses montagnes d’écume qui montaient et s’affaissaient tour à tour en jetant, sous les reflets irisés de la lumière, des étincelles de toutes couleurs… Vraiment, cela faisait plaisir à voir. Urbain procédait à ce travail avec une lenteur caressante ; il venait de passer sur son menton légèrement ombragé le pinceau chargé de mousse, et il y mettait une visible complaisance à y promener l’onctueux instrument, lorsque les notes perlées d’une voix jeune et fraîche vinrent frapper son oreille.

— Tiens ! se dit-il, il paraît que la mère Sauvageau a une nouvelle pensionnaire.

La mère Sauvageau était une brave femme, veuve d’un soldat mort au champ d’honneur, une bretonne à la tête solide et au cœur d’or, qui exerçait dans la bonne ville de Québec le métier de blanchisseuse. Elle habitait une maison basse, droit en face de la résidence d’Urbain, dont le regard, de sa chambre, pouvait plonger dans le réduit de sa voisine.

Le jeune homme quitta sa place, où il admirait sa figure barbouillée de savon, pour jeter un coup d’œil sur celle de la chanteuse. Par sa fenêtre entr’ouverte, il vit d’abord la mère Sauvageau occupée à repasser du linge, puis, assise près de la table, une jeune fille qui cousait. Il ne put apercevoir que son profil, qui lui parut d’une grande pureté. Ses cheveux négligemment noués sur sa tête, formaient des ondulations capricieuses dont le désordre n’était pas sans charmes.