Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/159

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Je conviens donc que Socrate n’a songé qu’a relever les vices des philosophes de son temps ; mais je ne sais qu’en conclure, sinon que dès ce temps-là les vices pullulaient avec les philosophes. À cela on me répond que c’est l’abus de la philosophie, et je ne pense pas avoir dit le contraire. Quoi ! faut-il donc supprimer toutes les choses dont on abuse ? Oui, sans doute, répondrai-je sans balancer, toutes celles qui sont inutiles, toutes celles dont l’abus fait plus de mal que leur usage ne fait de bien.

Arrêtons-nous un instant sur cette dernière conséquence, et gardons-nous d’en conclure qu’il faille aujourd’hui brûler toutes les bibliothèques et détruire les universités et les académies. Nous ne ferions que replonger l’Europe dans la barbarie ; et les mœurs n’y gagneraient rien#1. C’est avec douleur que je vais prononcer une grande et fatale vérité. Il n’y a qu’un pas du savoir à l’ignorance ; et l’alternative de l’un à l’autre est fréquente chez les nations ; mais on n’a jamais vu de peuple une fois corrompu revenir à la vertu. En vain vous prétendriez détruire les sources du mal ; en vain vous ôteriez les aliments de la vanité, de l’oisiveté et du luxe ; en vain même vous ramèneriez les hommes à cette première égalité conservatrice de l’innocence et source de toute vertu : leurs cœurs une fois gâtés le seront toujours ; il n’y a[1]

  1. « Les vices nous resteraient, dit le philosophe que j’ai déjà cité, et nous aurions l’ignorance de plus. » Dans le peu de ligne que cet auteur a écrites sur ce grand sujet, on voit qu’il a tourné les yeux de ce côté, et qu’il a vu loin.