Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/167

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car il en coûte moins pour se distinguer par du babil que par de bonnes mœurs, dès qu’on est dispensé d’être homme de bien, pourvu qu’on soit un homme agréable.

Plus l’intérieur se corrompt, et plus l’extérieur se compose[1] : c’est ainsi que la culture des lettres engendre insensiblement la politesse. Le goût naît encore de la même source. L’approbation publique étant le premier prix des travaux littéraires, il est naturel que ceux qui s’en occupent réfléchissent sur les moyens de plaire ; et ce sont ces réflexions qui à la longue forment le style, épurent le goût, et répandent partout les grâces et l’urbanité. Toutes ces choses seront, si l’on veut, le supplément de la vertu, mais jamais on ne pourra dire qu’elles soient la vertu, et rarement elles s’associeront avec elle. Il y aura toujours cette différence, que celui qui se rend utile travaille pour les autres, et que celui qui ne songe qu’à se rendre agréable ne travaille que pour lui. Le flatteur, par exemple, n’épargne aucun soin pour plaire, et cependant il ne fait que du mal.

La vanité et l’oisiveté, qui ont engendré nos sciences ont aussi engendré le luxe. Le goût du

  1. Je n’assiste jamais à la représentation d’une comédie de Molière, que je n’admire la délicatesse des spectateurs. Un mot un peu libre, une expression plutôt grossière qu’obscène, tout blesse leurs chastes oreilles, et je ne doute nullement que les plus corrompus ne soient toujours les plus scandalisés. Cependant, si l’on comparait les mœurs du siècle de Molière avec celles du nôtre, quelqu’un croira-t-il que le résultat fut à l’avantage de celui-ci ? Quand l’imagination est une fois salie, tout devient pour elle un sujet de scandale. Quand on n’a plus rien de bon que l’extérieur, on redouble tous les soins pour le conserver.