Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/179

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à se voler et se trahir mutuellement pour satisfaire leur mollesse ou leur ambition, et qui osent nourrir leur oisiveté de la sueur, du sang, et des travaux d’un million de malheureux. « Mais est-ce parmi ces gens grossiers qu’on ira chercher le bonheur ? » On l’y chercherait beaucoup plus raisonnablement que la vertu parmi les autres. « Quel spectacle nous présenterait le genre humain composé uniquement de laboureurs, de soldats, de chasseurs, et de bergers ? » Un spectacle infiniment plus beau que celui du genre humain composé de cuisiniers, de poètes, d’imprimeurs, d’orfèvres, de peintres, et de musiciens. Il n’y a que le mot soldat qu’il faut rayer du premier tableau. La guerre est quelquefois un devoir, et n’est point faite pour être un métier. Tout homme doit être soldat pour la défense de sa liberté ; nul ne doit l’être pour envahir celle d’autrui : et mourir en servant la patrie est un emploi trop beau pour le confier à des mercenaires. « Faut-il donc, pour être dignes du nom d’hommes, vivre comme les lions et les ours ? » Si j’ai le bonheur de trouver un seul lecteur impartial et ami de la vérité, je le prie de jeter un coup d’œil sur la société actuelle, et d’y remarquer qui sont ceux qui vivent entre eux comme les lions et les ours, comme les tigres et les crocodiles. « Érigera-t-on en vertus les facultés de l’instinct pour se nourrir, se perpétuer, et se défendre ? » Ce sont des vertus, n’en doutons pas, quand elles sont guidées par la raison et sagement ménagées ; et ce