Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/183

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et qui, s’ils n’ont pas étendu beaucoup les limites de notre esprit, nous ont appris du moins où elles étaient fixées ; ces chefs-d’œuvre d’éloquence et de poésie qui nous ont enseigné toutes les routes du cœur ; les arts utiles ou agréables qui conservent ou embellissent la vie ; enfin, l’inestimable tradition des pensées et des actions de tous les grands hommes qui ont fait la gloire ou le bonheur de leurs pareils : toutes ces précieuses richesses de l’esprit eussent été perdues pour jamais. Les siècles se seraient accumulés, les générations des hommes se seraient succédé comme celles des animaux, sans aucun fruit pour la postérité, et n’auraient laissé après elles qu’un souvenir confus de leur existence ; le monde aurait vieilli, et les hommes seraient demeurés dans une enfance éternelle. »

Supposons, à notre tour, qu’un Lacédémonien, pénétré de la force de ces raisons, eût voulu les exposer à ses compatriotes ; et tâchons d’imaginer le discours qu’il eût pu faire dans la place publique de Sparte.

« Citoyens, ouvrez les yeux, et sortez de votre aveuglement. Je vois avec douleur que vous ne travaillez qu’à acquérir de la vertu, qu’à exercer votre courage, et maintenir votre liberté ; et cependant vous oubliez le devoir plus important d’amuser les oisifs des races futures. Dites-moi, à quoi peut être bonne la vertu, si ce n’est à faire du bruit dans le monde ? Que vous aura servi d’être gens de bien, quand personne ne