Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/207

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hargneries d’auteurs[1] dont on remplit les écrits polémiques, et qui ne sont bonnes qu’à satisfaire une honteuse animosité. On veut que j’aie pris dans Clénard[2] un mot de Cicéron, soit ; que j’aie fait des solécismes, à la bonne heure ; que je cultive les belles-lettres et la musique, malgré le mal que

  1. On peut voir dans le Discours de Lyon un très-beau modèle de la manière dont il convient aux philosophes d’attaquer et de combattre sans personnalités et sans invectives. Je me flatte qu’on trouvera aussi dans ma réponse, qui est sous presse, un exemple de la manière dont on peut défendre ce qu’on croit vrai, avec la force dont on est capable, sans aigreur contre ceux qui l’attaquent.
  2. Si je disais qu’une si bizarre citation vient à coup sûr de quelqu’un à qui la Méthode grecque de Clénard est plus familière que les Offices de Cicéron, et qui par conséquent semble se porter assez gratuitement pour défenseur des bonnes lettres ; si j’ajoutais qu’il y a des professions, comme par exemple la chirurgie, où l’on emploie tant de termes dérivés du grec, que cela met ceux qui les exercent dans la nécessité d’avoir quelques notions élémentaires de cette langue ; ce serait prendre le ton du nouvel adversaire, et répondre comme il aurait pu faire à ma place. Je puis répondre, moi, que, quand j’ai hasardé le mot investigation, j’ai voulu rendre un service à la langue, en essayant d’y introduire un terme doux, harmonieux, dont le sens est déjà connu, et qui n’a point de synonyme en français. C’est, je crois, toutes les conditions qu’on exige pour autoriser cette liberté salutaire :

                    Ego cur, acquirere pauca
    Si possum, invideor, cùm lingua Catonis et Enni
    Sermonem patrium ditaverit ?*.

    J’ai surtout voulu rendre exactement mon idée. Je sais, il est vrai, que la première règle de tous nos écrivains est d’écrire correctement, et, comme ils disent, de parler français ; c’est qu’ils ont des prétentions, et qu’ils veulent passer pour avoir de la correction et de l’élégance. Ma première règle, à moi qui ne me soucie nullement de ce qu’on pensera de mon style, est de me faire entendre. Toutes les fois qu’à l’aide de dix solécismes je pourrai m’exprimer plus fortement ou plus clairement, je ne balancerai jamais. Pourvu que je sois bien compris des philosophes, je laisse volontiers les puristes courir après les mots.


    *Hor. de Arte poet. v. 55.