Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/222

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ainsi dans toute une nation que de deux mauvaises sources que l’étude entretient et grossit à son tour, savoir, l’oisiveté et le désir de se distinguer. Dans un état bien constitué, chaque citoyen a ses devoirs à remplir ; et ces soins importants lui sont trop chers pour lui laisser le loisir de vaquer à de frivoles spéculations. Dans un état bien constitué, tous les citoyens sont si bien égaux, que nul ne peut être préféré aux autres comme le plus habile, mais tout au plus comme le meilleur : encore cette dernière distinction est-elle souvent dangereuse ; car elle fait des fourbes et des hypocrites.

Le goût des lettres qui naît du désir de se distinguer produit nécessairement des maux infiniment plus dangereux que tout le bien qu’elles font n’est utile ; c’est de rendre à la fin ceux qui s’y livrent très-peu scrupuleux sur les moyens de réussir. Les premiers philosophes se firent une grande réputation en enseignant aux hommes la pratique de leurs devoirs et les principes de la vertu. Mais bientôt ces préceptes étant devenus communs, il fallut se distinguer en frayant des routes contraires. Telle est l’origine des systèmes absurdes des Leucippe, des Diogène, des Pyrrhon, des Protagore, des Lucrèce. Les Hobbes, les Mandeville, et mille autres ont affecté de se distinguer de même parmi nous ; et leur dangereuse doctrine a tellement fructifié, que, quoiqu’il nous reste de vrais philosophes, ardents à rappeler dans nos cœurs les lois de l’humanité et de la vertu, on est épouvanté de voir jusqu’à quel point notre siècle raisonneur a poussé dans