Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/224

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binet rend les hommes délicats, affaiblit leur tempérament, et l’âme garde difficilement sa vigueur, quand le corps a perdu la sienne. L’étude use la machine, épuise les esprits, détruit la force, énerve le courage ; et cela seul montre assez qu’elle n’est pas faite pour nous : c’est ainsi qu’on devient lâche et pusillanime, incapable de résister également à la peine et aux passions. Chacun sait combien les habitants des villes sont peu propres à soutenir les travaux de la guerre, et l’on n’ignore pas quelle est la réputation des gens de lettres en fait de bravoure[1]. Or rien n’est plus justement suspect que l’honneur d’un poltron.

Tant de réflexions sur la faiblesse de notre nature ne servent souvent qu’à nous détourner des entreprises généreuses. À force de méditer sur les misères de l’humanité, notre imagination nous accable de leur poids, et trop de prévoyance nous ôte le courage, en nous ôtant la sécurité. C’est bien en vain que nous prétendons nous munir contre les accidents imprévus, si la science, « essayant de nous armer de nouvelles défenses contre les inconvénients naturels, nous a plus imprimé en la fantaisie leur grandeur et poids, qu’elle n’a ses raisons et vaines subtilités à nous en couvrir[2]. »

  1. Voici un exemple moderne pour ceux qui me reprochent de n’en citer que d’anciens. La république de Gênes, cherchant à subjuguer plus aisément les Corses, n’a pas trouvé de moyen plus sûr que d’établir chez eux une académie. Il ne me serait pas difficile d’allonger cette note : mais ce serait faire tort à l’intelligence des seuls docteurs dont je me soucie.
  2. Livre iii, chap. 12.