Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/232

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Mon avis est donc, et je l’ai déjà dit plus d’une fois, de laisser subsister, et même d’entretenir avec soin les académies, les collèges, les universités, les bibliothèques, les spectacles, et tous les autres amusements qui peuvent faire quelque diversion à la méchanceté des hommes, et les empêcher d’occuper leur oisiveté à des choses plus dangereuses : car dans une contrée où il ne serait plus question d’honnêtes gens, ni de bonnes mœurs, il vaudrait encore mieux vivre avec des fripons qu’avec des brigands.

Je demande maintenant où est la contradiction, de cultiver moi-même des goûts dont j’approuve le progrès ? Il ne s’agit plus de porter les peuples à bien faire, il faut seulement les distraire de faire le mal ; il faut les occuper à des niaiseries, pour les détourner des mauvaises actions ; il faut les amuser, au lieu de les prêcher. Si mes écrits ont édifié le petit nombre des bons, je leur ai fait tout le bien qui dépendait de moi, et c’est peut-être les servir utilement encore, que d’offrir aux autres des objets de distraction qui les empêchent de songer à eux. Je m’estimerais trop heureux d’avoir tous les jours une pièce à faire siffler, si je pouvais à ce prix contenir pendant deux heures les mauvais desseins d’un seul des spectateurs, et sauver l’honneur de la fille ou de la femme de son ami, le secret de son confident, ou la fortune de son créancier. Lorsqu’il n’y a plus de mœurs, il ne faut songer qu’à la police, et l’on sait assez que la musique et les spectacles en font un des plus importants objets.