Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/395

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tardé à être couverte d’hommes ainsi forcés à se tenir rassemblés. D’ailleurs, ils se seraient dispersés, si le mal avait été rapide et que c’eut été un changement fait du jour au lendemain ; mais ils naissaient sous le joug ; ils avaient l’habitude de le porter quand ils en sentaient la pesanteur, et ils se contentaient d’attendre l’occasion de le secouer. Enfin, déjà accoutumés à mille commodités qui les forçaient à se tenir rassemblés, la dispersion n’était plus si facile que dans les premiers temps où nul n’ayant besoin que de soi-même, chacun prenait son parti sans attendre le consentement d’un autre.

Note 18

Le maréchal de V*** contait que dans une de ses campagnes, les excessives friponneries d’un entrepreneur des vivres ayant fait souffrir et murmurer l’armée, il le tança vertement et le menaça de le faire pendre. Cette menace ne me regarde pas, lui répondit hardiment le fripon, et je suis bien aise de vous dire qu’on ne pend point un homme qui dispose de cent mille écus. Je ne sais comment cela se fit, ajoutait naïvement le maréchal, mais en effet il ne fut point pendu, quoiqu’il eût cent fois mérité de l’être.

Note 19

La justice distributive s’opposerait même à cette égalité rigoureuse de l’état de nature, quand elle serait praticable dans la société civile ; et comme tous les membres de l’État lui doivent des services proportionnés à leurs talents et à leurs forces, les citoyens à leur tour doivent être distingués et favorisés à proportion de leurs services. C’est en ce sens qu’il faut entendre un passage d’Isocrate dans lequel il loue les premiers Athéniens d’avoir bien su distinguer quelle était la plus avantageuse des deux sortes d’égalité, dont l’une consiste à faire part des mêmes avantages à tous les citoyens indifféremment, et l’autre à les distribuer selon le mérite de chacun. Ces habiles politiques, ajoute l’orateur, bannissant cette injuste égalité qui ne met aucune différence entre les méchants et les gens de bien, s’attachèrent inviolablement à celle qui récompense et punit chacun selon son mérite. Mais premièrement il n’a jamais existé de