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SECONDE PARTIE.

C’était une ancienne tradition passée de l’Égypte en Grèce, qu’un dieu ennemi du repos des hommes était l’inventeur des sciences[1]. Quelle opinion fallait-il donc qu’eussent d’elles les Égyptiens mêmes, chez qui elles étaient nées ? C’est qu’ils voyaient de près les sources qui les avaient produites. En effet, soit qu’on feuillette les annales du monde, soit qu’on supplée à des chroniques incertaines par des recherches philosophiques, on ne trouvera pas aux connaissances humaines une origine qui réponde à l’idée qu’on aime à s’en former. L’astronomie est née de la superstition ; l’éloquence, de l’ambition, de la haine, de la flatterie, du mensonge ; la géométrie, de l’avarice ; la physique, d’une vaine curiosité ; toutes, et la morale même, de l’orgueil humain. Les sciences et les arts doivent donc leur naissance à nos vices : nous serions moins en doute sur leurs avantages, s’ils la devaient à nos vertus.

Le défaut de leur origine ne nous est que trop re-

  1. On voit aisément l’allégorie de la fable de Prométhée, et il ne parait pas que les Grecs, qui l’ont cloué sur le Caucase, en pensassent guère plus favorablement que les Égyptiens de leur dieu Teuthus. « Le satyre, dit une ancienne fable, voulut baiser et embrasser le feu, la première fois qu’il le vit ; mais Prometheus lui cria : Satyre, tu pleureras la barbe de ton menton, car il brûle quand on y touche*.  »

    *C’était le sujet du frontispice mis en tête de la première édition de ce discours. Il représentait Prométhée tenant à la main un flambeau et prêt à animer sa statue. Un satyre, attiré par l’éclat du feu, s’en approchait pour le saisir. Prométhée lui criait : « N’approche pas, satyre ; le feu brûle quand on y touche. »