Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/73

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expérience que je rapporte. Carle, Pierre[1], le moment est venu où ce pinceau destiné à augmenter la majesté de nos temples par des images sublimes et saintes, tombera de vos mains, ou sera prostitué à orner de peintures lascives les panneaux d’un vis-à-vis. Et toi, rival des Praxitèle et des Phidias ; toi, dont les anciens auraient employé le ciseau à leur faire des dieux capables d’excuser à nos yeux leur idolâtrie ; inimitable Pigal, ta main se résoudra à ravaler le ventre d’un magot, ou il faudra qu’elle demeure oisive.

On ne peut réfléchir sur les mœurs, qu’on ne se plaise à se rappeler l’image de la simplicité des premiers temps. C’est un beau rivage, paré des seules mains de la nature, vers lequel on tourne incessamment les yeux, et dont on se sent éloigner à regret. Quand les hommes innocents et vertueux aimaient à avoir les dieux pour témoins de leurs actions, ils habitaient ensemble sous les mêmes cabanes ; mais bientôt devenus méchants, ils se lassèrent de ces incommodes spectateurs, et les reléguèrent dans des temples magnifiques. Ils les en chassèrent enfin pour s’y établir eux-mêmes, ou du moins les temples des dieux ne se distinguèrent plus des maisons des citoyens. Ce fut alors le comble de la dépravation, et les vices ne furent jamais poussés plus loin que quand on les vit pour ainsi dire soutenus, à l’entrée des palais des grands,

  1. Carl-Vanloo et Pierre, peintres célèbres dans le dernier siècle, le premier mort en 1765, le second en 1789, ont principalement travaillé à la décoration des églises.