Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/79

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séquences. On ne demande plus d’un homme s’il a de la probité, mais s’il a des talents ; ni d’un livre s’il est utile, mais s’il est bien écrit. Les récompenses sont prodiguées au bel esprit, et la vertu reste sans honneurs. Il y a mille prix pour les beaux discours, aucun pour les belles actions. Qu’on me dise cependant si la gloire attachée au meilleur des discours qui seront couronnés dans cette académie est comparable au mérite d’en avoir fondé le prix.

Le sage ne court point après la fortune ; mais il n’est pas insensible à la gloire ; et quand il la voit si mal distribuée, sa vertu, qu’un peu d’émulation aurait animée et rendue avantageuse à la société, tombe en langueur, et s’éteint dans la misère et dans l’oubli. Voilà ce qu’à la longue doit produire partout la préférence des talents agréables sur les talents utiles, et ce que l’expérience n’a que trop confirmé depuis le renouvellement des sciences et des arts. Nous avons des physiciens, des géomètres, des chimistes, des astronomes, des poètes, des musiciens, des peintres : nous n’avons plus de citoyens ; ou, s’il nous en reste encore, dispersés dans nos campagnes abandonnées, ils y périssent indigents et méprisés. Tel est l’état où sont réduits, tels sont les sentiments qu’obtiennent de nous ceux qui nous donnent du pain, et qui donnent du lait à nos enfants.

Je l’avoue cependant, le mal n’est pas aussi grand qu’il aurait pu le devenir. La prévoyance éternelle, en plaçant à côté de diverses plantes nuisibles des simples salutaires, et dans la substance de plusieurs