Page:Routhier - À travers l'Europe, impressions et paysages, Vol 1, 1881.djvu/296

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Mais avant cette époque et pendant plusieurs années, on avait adopté la coutume de réunir les ouvriers dans les églises, le soir, et d’inviter quelque conférencier laïque à venir leur adresser la parole.

Or Raymond Brucker était le conférencier populaire par excellence de ces réunions, et il obtenait parfois des succès prodigieux. Il était lui-même un converti de la veille, et après avoir été le disciple de plusieurs utopistes de cette époque — qui fut très féconde en systèmes philosophiques — il était devenu purement et simplement l’avocat de Dieu.

Tous ceux qui l’ont connu et entendu ont vanté avec un véritable enthousiasme son prodigieux talent oratoire, que la foi la plus ardente enflammait. On a dit qu’il avait du Saint Thomas d’Aquin, du Shakespeare et de l’O’Connell ; mais il était lui, et quoique ce génie à part fût incomplet, il avait le don de faire vibrer les cordes du cœur humain et de l’émouvoir profondément.

Son éloquence avait des hardiesses inouies, des impétuosités sans frein, des éclairs imprévus, des ironies sanglantes, des dédains écrasants, des sarcasmes et des tendresses, des larmes et des sourires ; et tout cela formait un ensemble harmonieux qui fascinait l’auditoire.

Chose étrange ! Cet esprit si puissant par la parole n’était plus lui, une plume à la main. Il a écrit, beaucoup écrit, mais toutes ses œuvres écrites sont manquées. On n’y retrouve plus ce souffle et cette vie dévorante de la parole. La plume pour lui était