Page:Routhier - À travers l'Europe, impressions et paysages, Vol 1, 1881.djvu/315

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nous sommes satisfaits, si nous avons joui, ou si nous avons bâillé ?

Je confesse mon incompétence, mais j’ai l’amour, je pourrais dire la passion de la musique. Il est des heures où la moindre mélodie éveille en moi des émotions qu’aucun autre art n’y pourrait faire naître. La musique est une langue appropriée à ces dispositions de l’âme humaine où le vague de l’extase et l’indéfini des sensations ne trouvent pas d’expressions dans les autres langues. À cette limite extrême du monde idéal où la vision intellectuelle n’a pas encore pris une forme précise, la musique est seule capable d’exprimer ce que la poésie elle-même ne pourrait pas chanter.

Les manifestations de cet art sont donc naturellement vagues, indécises, sans signification certaine, en quelque sorte inconscientes par elles-mêmes. C’est pourquoi les mêmes mélodies pourront, à raison des circonstances et des dispositions des auditeurs, provoquer la joie ou la tristesse, la volupté ou la prière.

La peinture, la sculpture, la poésie ont corrompu bien des âmes, et jamais sans le savoir ; car leurs idées et l’expression de ces idées étaient elles-mêmes corruptrices. Mais la musique n’a pas conscience de ce qu’elle exprime, c’est-à-dire que l’on ne peut strictement assigner à ses mélodies, ou à ses harmonies, un sens moral ou immoral.

Or quelle est la conséquence de cette irresponsabilité morale, et de cette vague incertitude des œuvres musicales ? C’est que ceux qui sont chargés de les