Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/348

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au besoin, de pondre, c’est de tenir la femelle sous un cuvier pendant deux jours, sans boire ni manger. Ainsi privée d’air, de lumière et de nourriture, elle éprouve dans cette prison une sorte de malaise, une révolution qui change sa manière d’être. Quand on lui rend la liberté, elle est chancelante et comme asphyxiée ; à peine se tient-elle sur ses pattes, elle a oublié toutes ses affections, bientôt elle court à l’eau, mange ensuite, et ne semble plus occupée qu’à se remettre à pondre.

Tous ces faits, et tant d’autres que je pourrois accumuler ici, servent à prouver que, dans les basses-cours les mieux montées, on admet un trop grand nombre de coqs ; que les particuliers bornés à quelques poules, pour jouir seulement du bénéfice des œufs, peuvent se dispenser d’entretenir un mâle ; que le fermier qui n’est pas dans l’usage d’élever des poulets, et qui n’a absolument de poules que le nombre qu’il lui en faut pour faire consommer les grains qui, sans cet emploi, seroient perdus dans la cour et dans le fumier, doit interdire l’entrée de la ferme aux coqs, puisqu’ils ne font souvent que tourmenter et épuiser les poules, sans rapporter de profit à la maison, et qu’il vaut infiniment mieux acheter au marché, tous les ans, pendant l’hiver, des poules, pour maintenir la volaille dans le même état de population et de fécondité. Mais, dira-t-on, le cultivateur ne voudra jamais s’astreindre à tirer de sa poche la plus modique somme d’argent, pour acheter des poules, lorsque, sans frais, il a sous la main la facilité d’en élever : cependant, si l’expérience lui démontre qu’en se dispensant de nourrir chez lui des coqs, il aura un tiers de plus d’œufs, et d’œufs moins sujets à se gâter ; si, d’après le bénéfice certain qu’il en retirera, il balance encore de mettre en pratique ce que je propose, il aura toujours la possibilité d’échanger avec un de ses voisins, qui admettroit des coqs dans sa basse-cour, une trentaine de ses œufs clairs contre le même nombre, mais fécondés, et de les donner à couver à une dinde ou à deux de ses poules ordinaires, choisies parmi celles qui manifesteroient le plus d’ardeur à remplir cette fonction de la nature.

J’ai souvent reproché aux cultivateurs français leur indifférence sur les avantages qu’il y auroit toujours de soumettre au calcul les résultats de leurs travaux. Indépendamment de la quantité d’œufs qui se perdent, à cause du défaut de soins et de l’insuffisance des moyens de conservation, jamais on n’a tenu note du nombre d’œufs sacrifiés pendant l’incubation, et de celui des couvées qui manquent en partie ou en totalité. Il arrive souvent que la plupart des œufs ne sont pas fécondés, malgré la vigueur des coqs ; que les poules farouches, légères, impatientes ou maladroites, abandonnent le nid avant que tout me soit éclos, cassent ou mangent les œufs, ou étouffent les poussins à leur naissance. Quelle perte n’éprouvent pas encore ceux qui laissent à la poule la conduite de deux à trois poulets, restant d’une couvée avortée, lorsqu’il seroit si facile de réunir ces portions de couvées sous une seule et même mère, et de rendre ainsi aux autres poules la faculté de reprendre leur ponte, et de procurer par ce moyen l’équivalent de ce qu’elles coûtent en nourriture !

Toutes ces pertes n’en seroient point pour le cultivateur qui se livreroit exclusivement au commerce des œufs ; cependant il pourroit courir les risques d’en éprouver d’autres, s’il n’étoit au fait du stratagème employé pour les prévenir. Nous en faisons mention dans l’article suivant.

Des œufs clairs. Nul doute que le concours du coq ne soit nécessaire pour la fécondation des œufs ; mais il n’a aucune influence directe sur leur formation. Les œufs non fécondés étoient, du temps d’Aristote, désignés sous les noms d’œufs de vent, œufs de zéphyr : ils sont connus aujourd’hui, parmi nous, sous le nom d’œufs clairs.

Beaucoup d’observations, et quelques pratiques rurales, prouvent suffisamment qu’il n’est pas nécessaire que les femelles des oiseaux de basse-cour éprouvent l’approche du mâle à chaque œuf qu’elles mettent bas. Harvey prétend, entr’autres, qu’un coq féconde, en une seule fois, les œufs qu’une poule pondra pendant toute une année ; mais ce que l’expérience a prouvé incontestablement, c’est que toute une ponte semble n’avoir besoin de l’approche du mâle qu’une seule fois. Or, comme il est démontré que le coq est en état de donner des preuves de sa puissance cinquante fois par jour, on doit nécessairement revenir de cette opinion assez généralement adoptée, qu’il faut pour douze poules un coq, et renoncer à ce proverbe : qui n’a qu’un seul coq, n’en a point ; elle n’est absolument fondée sur aucune observation exacte. Or, la véritable économie consiste à m’entretenir aucun animal, qu’il ne compense sa nourriture par les services qu’il rend. Désirant m’assurer par moi-même quel seroit le résultat qu’auroient des couvées composées uniquement d’œufs pondus deux mois