Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/351

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils portent avec eux, ou faute de soins dans les moyens de conservation. Passons maintenant à cet examen.

Conservation des œufs. Il n’est pas d’essais que l’homme n’ait tentés pour s’approprier tous les produits de la nature dans nos climats, comme dans ceux qui sont situés aux deux extrémités du globe ; par-tout les œufs sont devenus pour lui un aliment de première nécessité, et il a cherché les moyens de les conserver, comme les autres denrées de la même importance, jusqu’au moment où les poules, affoiblies par la maladie périodique de la mue, ou engourdies par le froid, cessent de pondre.

On s’est d’abord occupé, 1°. de les garantir de l’humidité : elle leur est si fatale qu’une seule goutte d’eau qui aura séjourné pendant quelque temps sur un œuf frais, peut corrompre la partie qu’elle a touchée à travers la coque ; 2°. de la gelée qui, en fêlant la coque et désorganisant l’intérieur, le dispose à se putréfier au moment du dégel ; 3°. enfin, de l’accès de l’air qui détermine une évaporation plus ou moins prompte et considérable, à raison, comme nous l’avons déjà fait remarquer, de la porosité de la coque, de la température du lieu où les œufs sont mis en réserve et de la saison où ils ont été pondus.

Pour remplir ces vues, les uns arrangent les œufs dans un baril avec un lit de sel, et ainsi alternativement, jusqu’à ce que le vaisseau soit plein. Ce moyen, utile dans les cantons méridionaux et secs, pourroit faire craindre quelques inconvéniens dans ceux qui sont naturellement humides, parce que le sel attire l’humidité et se résout en liqueur ; mais le froid que produit en même temps cet intermède empêche l’évaporation des œufs, et contribue à les maintenir en bon état.

Il y a des endroits tellement humides, qu’on a une peine infinie à y conserver les œufs au delà d’un mois, alors l’intermède du sel ne sauroit être adopté. Les cendres et le son de blé ont été employés à la place ; mais l’un l’inconvénient de se charger et de retenir l’humidité de l’atmosphère, et l’autre de s’échauffer, de fermenter et se couvrir de mites ; il faut donc préférer de les stratifier dans du sable bien séché, dans du blé ou de l’orge, de la petite paille, ou de la sciure de bois. Le baril, la caisse ou le panier servant à les contenir, étant couvert d’une toile bien assujettie, est placé dans des endroits secs, frais, à l’abri des émanations de gaz putride, de l’accès de la lumière et de l’humidité. On les retourne tous les deux jours sens dessus dessous, de manière que la partie inférieure devienne la supérieure.

On a encore remarqué que les œufs récemment pondus, étant conservés dans l’eau fraîche, n’éprouvoient aucune évaporation : ils ont, il est vrai, autant de lait que les œufs frais, quand on les fait cuire à la coque, mais leur saveur est un peu altérée au bout de quelques jours.

Un autre moyen plus efficace encore pour prolonger l’état frais des œufs, moyen pratiqué depuis plusieurs siècles dans nos campagnes et en Écosse, qu’on trouve décrit presque par-tout, c’est de les plonger, le jour où ils sont pondus, au moyen d’une écumoire dans l’eau bouillante, comme pour les manger à la coque, et les y laisser environ deux minutes. En les retirant de l’eau, on les marque, soit à l’encre, soit au charbon, afin de pouvoir, à l’aide de numéros, les employer selon leur rang d’âge ; puis on les met en réserve dans un lieu frais, où il est possible de les garder pendant plusieurs mois. En employant ce procédé, la chaleur opère la cuisson d’une très-petite couche du blanc le plus voisin de la surface interne de la coquille. Dans cet état les œufs souffrent infiniment moins de déperdition. Quand on veut s’en servir pour les manger à la mouillette, on les fait réchauffer dans l’eau bouillante, à peu près autant de temps qu’ils y ont déjà été, c’est-à-dire environ deux minutes ; ils ressemblent à peu près, pour le goût, à des œufs frais de deux jours ; la partie appelée improprement le lait y est abondante : on a remarqué qu’au bout de quatre à cinq mois la membrane qui tapisse l’œuf devient plus épaisse. Ce moyen ne seroit peut-être pas à dédaigner ; cependant, l’opération préliminaire qu’il exige, le rend tout au plus praticable dans les ménages. Il est donc nécessaire d’en trouver un autre pour le commerce.

On sait que la paille est un des plus mauvais conducteurs du calorique ; que les grains et tous les corps sujets à s’altérer se conservent plus facilement dans un grenier couvert de chaume, que dans un magasin dont la toiture est en tuile ou en ardoise. On se garde bien de recouvrir les glacières d’une autre matière ; tous ces motifs m’ont déterminé à donner à des paillassons la forme de paniers, dans lesquels j’ai isolé les œufs par couches alternatives avec des bâles de grains, et j’ai suspendu le panier dans un lieu sec et obscur ; c’est à la faveur de ce moyen que je suis parvenu à prolonger le terme de la fécondation des œufs, et à leur conserver, pendant l’été, sinon le caractère