Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/27

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plète ; le vin est aussi chargé de spiritueux qu’il peut en acquerir. J’ose affirmer le contraire, si on a eu le soin de conserver le vin, ainsi qu’il l’exige, & de la manière suivie par un brûleur intelligent. L’expérience journalière, prouve, malgré l’assertion du chimiste dont on parle, 1°. qu’un vin de deux, de six mois, donne moins d’esprit ardent qu’un vin d’un an ; 2°. que de celui de deux ou de six mois, on retire moins d’eau-de-vie première, & beaucoup plus de repasse que de celui d’un an ; 3°. que l’eau-de-vie est plus âcre, plus colorée, plus sujette à l’empyreume, au coup de feu, que celle du dernier. Il est donc prudent d’attendre, si on a de bonnes caves, & sur-tout si le vin est généreux.

La transparence, la limpidité du vin sont encore des conditions essentielles. Tout vin bien fait, à moins qu’il ne soit de sa nature sirupeux, comme les vins muscats, les blanquettes, &c. est toujours éclairci deux mois après qu’il a été tiré de la cave. Si on excepte les vins sirupeux, tous les autres sont en état d’être soutirés à Noël ; (voy. le mot Soutirage) & je conseille cette époque pour le premier soutirage, sur-tout si le temps est froid. Il faut donc que le chimiste ait opéré sur des vins faits à Paris, ou sur des vins sirupeux, puisqu’ils n’étoient pas éclaircis, deux mois après. Dans les grandes brûleries, on distille rarement de tels vins, parce qu’ils ont un débit assuré ; on les recherche à cause de leur liqueur, mais si on les brûle, l’esprit qui en provient est d’une qualité inférieure, je ne dis pas quant au titre, mais pour le goût ; leur prix est bien au-dessous de celui des premières.

Pourquoi les eaux-de-vie de Languedoc, de Provence, ont-elles presque toujours de l’acrimonie, tandis que celles de la Saintonge, de l’Angoumois, de l’Aunis, &c. sont plus amiables, quoique la manière de distiller soit parfaitement la même, & que tous les alambics en général, ainsi que leurs serpentins soient aussi chargés de verd-de-gris que ceux des provinces méridionales ? Deux objets causent cette différence. À l’occident du royaume, on ne distille presque que des vins blancs & aqueux, & au midi des vins rouges, très-foncés en couleur, & qui ont trop fermenté. Le raisin blanc n’a presque point de partie colorante, il ne fermente pas avec la grappe comme le vin rouge ; d’ailleurs, les vins blancs sont moins tartareux. Or, si cette partie colorante, sur laquelle la chaleur agit dans l’alambic, qui est dissoute par l’esprit, & qui se combine avec lui, donne un goût âcre à l’eau-de-vie, il résulte donc par comparaison, que le vin non éclairci doit augmenter ce goût, & ajouter celui de brûlé, puisque ce qui le rend trouble est la lie & le tartre qui ne sont pas précipités, &c.

Autant qu’il sera possible, ne distillez donc que des vins clairs. À cet effet établissez un réservoir bien clos, bien fermé, semblable à celui dont il a été question. Dans le milieu de sa hauteur, établissez un double fond percé de trous de la largeur d’un pouce ; couvrez ce fond d’une étoffe serrée, épaisse, & en laine, chargez-la de quelques pouces de sable bien pur & bien lavé afin d’en séparer la terre ;