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laissé sur le cep, enveloppé d’un sac de papier, aussi long-temps que la saison le permet ; comparez-le avec un chasselas du même cep, cueilli en octobre, la différence sera énorme, soit pour le goût, soit pour la fraîcheur. Revenons à notre objet.

À mesure que les conduits séveux de la grappe s’oblitèrent, il monte moins d’eau de végétation, & la chaleur du jour faisant transpirer & évaporer une grande partie de cette sève, le principe sucré est plus rapproché ; aussi, les espèces de raisins, naturellement les plus sucrées, sont moins juteuses & plus claquantes ; les autres au contraire sont plus molles & plus fondantes. (Il y a quelques exceptions à cette loi) Du sucre noyé dans l’eau se convertit en sirop par l’ébullition, & il acquiert un goût différent de celui que la mixtion avoit auparavant. Il en est de même du raisin, & jamais son aromat n’est plus exalté dans le vin, que lorsque le principe sucré est plus rapproché. Dans les années de pleine maturité, les vins muscats, même du royaume, ressemblent presqu’à ce sirop, ce qui rend leur fermentation molle, & leur éclaircissement long & difficile.

C’est d’après cette théorie qu’on s’est déterminé à Arbois, à Château-Châlons, en Franche-Comté, à conserver le raisin sur le cep, souvent jusqu’en décembre & quelquefois jusqu’à noël. C’est par la même raison, qu’à Condrieux, si renommé par ses vins blancs, on ne vendange qu’à la fête des saints, quoique son vignoble soit parfaitement exposé au soleil du midi, abrité par des montagnes & de trois degrés plus méridional que celui d’Arbois. À Riyeialtes, on laisse faner le raisin sur le cep ; il en est ainsi en plusieurs cantons d’Espagne, dans les îles de Candie, de Chypre, &c. C’est encore d’après cette théorie, qu’on fait en Lorraine & ailleurs, le vin nommé de paille ; l’opération consiste à cueillir les raisins par un temps sec & au gros soleil, de les étendre sur des claies de paille ou d’osier sans qu’ils se touchent ; d’exposer ces claies au soleil & de les renfermer dès qu’il est passé ; tous les deux ou trois jours d’enlever les grains qui pourrissent, sans attaquer ni blesser leurs voisins ; enfin, lorsque les raisins sont bien fanés, & qu’une partie de leur eau de végétation est dissipée, on les presse & on en fait du vin. Dans quelques endroits on tort la grappe du raisin sur le cep, ou bien on supprime, chaque jour, un certain nombre de feuilles, afin que dans la journée, il monte moins de sève des racines aux raisins, & pour empêcher que pendant la nuit ces feuilles n’absorbent l’humidité de l’atmosphère, & ne rassemblent une plus grande masse d’aquosité dans le cep.

Ces exemples, ces manipulations prouvent donc que pour avoir des vins meilleurs, on cherche à dépouiller le raisin de son aquosité superflue, & à rapprocher & à faire développer le muqueux doux. Ici l’art imite les procédés de la nature dans les années de pleine maturité ; car dans les vignobles du nord du royaume, il est excessivement rare que la grappe avant la vendange prenne la couleur du bois désarment, lorsqu’il est mûr, & bien plus rare encore que le raisin se fane de lui-même sur le cep sans y pourrir ; à moins que quelques circonstances extraordinai-