Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/508

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

âpre, austère ou vert. J’ai vu dans des cantons où l’on ne connoissoit point l’usage du moût bouilli, jeter dans les futailles lorsqu’on les remplissoit de vin nouveau, quelques raisins presque desséchés à une douce chaleur du four, & ces raisins communiquer à la liqueur un goût très approchant de celui donne par l’addition du moût cuit.

Lorsque la cuve est pleine à huit pouces ou à un pied près, ou plus, suivant sa grandeur, suivant l’année, le climat, &c. ; lorsque le chapeau est formé, autant qu’il est possible de l’établir par art dans ce moment, on jette le moût bouillant ; si la cuve étoit remplie jusqu’à son bord, on perdroit beaucoup de vin, & la vendange sortiroit de la cuve, parce que la fermentation & la chaleur dilatent toute la masse, & lui font occuper un beaucoup plus grand volume. L’espace vide que j’indique à laisser, sera quelquefois insuffisant & quelquefois trop fort ; cela dépend de la nature de la vendange, &c. : chacun doit à peu près connoître la portée de la fermentation de son pays, & il n’est pas possible de fixer l’étendue de cet espace, quand on parle en général.

On doit concevoir sans peine, que si on répand le moût bouillant sur la superficie de la cuvée, la chaleur s’évaporera promptement, & ne produira puisqu’aucun effet sur la masse qui doit fermenter. Il convient donc d’avoir un grand tuyau de fer blanc ou de bois, de deux à trois pouces de diamètre, garni à son sommet d’un vaste entonnoir ; ce tuyau doit descendre jusqu’au fond de la cuve : on l’enfonce à travers le chapeau, on vide une certaine quantité de moût bouillant ; on retire le tuyau pour le placer dans un autre endroit, on vide de nouveau & ainsi de suite ; on peut si l’on veut, ne pratiquer qu’une seule ouverture dans le milieu, & y verser toute la liqueur. Si le tuyau est entièrement ouvert par le bas, on court le risque de l’engorger en le plongeant dans la cuve ; mais on évitera cet inconvénient en le perçant d’un grand nombre de trous, sur les côtés de sa partie inférieure, à peu près sur l’étendue de douze à dix-huit pouces : on doit, aussi-tôt après l’opération, reboucher exactement le ou les trous faits au chapeau. La totalité de la chaleur factice se communique de proche en proche & gagne toute la masse, parce que l’effet de la chaleur est de tendre toujours vers le haut. Mais en quelle quantité faut-il jeter du moût bouillant ? je ne puis le prescrire, puisque j’ignore à quel degré de chaleur se trouve la masse de la vendange. Si on en jette jusqu’à ce que sa superficie ait acquis le degré dix, il est constant que la partie inférieure aura au moins vingt à trente degrés : dès-lors il n’y aura plus de proportion, & la fermentation, au lieu d’être simplement & graduellement tumultueuse, deviendra dans peu turbulente, & l’on aura manqué le but que l’on se proposoit. On parle ici seulement d’une manière isolée de la chaleur propre à établir une bonne fermentation, & il ne s’agit pas de donner de la qualité au vin. Lorsque le fond de la cuvée, à la hauteur d’un pied à un pied & demi, aura également reçu une chaleur de dix à douze degrés, j’estime qu’elle est suffisante, que la fermentation ne tardera pas à s’y établir, & qu’elle produira bientôt le même degré à toute la masse.