Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/513

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Je n’ai pas craint d’ajouter dans le temps, qu’il résultoit de ce mélange un vin de beaucoup supérieur à celui où cette addition n’avoit pas été faite ; mais encore que l’agrément du goût & de la saveur n’étoient pas comparables, & que l’on retiroit d’un tel vin beaucoup plus de spiritueux que d’un autre : c’est dans l’ordre de la nature, elle-même m’a indiqué sa marche, & je l’ai suivie ; voilà où se réduit le procédé. Chacun sait que le principe sucré crée le spiritueux, & que lorsque le mucilage contient beaucoup d’air fixe & autant que le miel, il le communique à la liqueur avec laquelle il fermente, & cet air fixe devient le lien commun de tous les principes.

Si la force seule de la fermentation, expulse l’air fixe & beaucoup de spiritueux, au point que celui-ci frappe l’odorat, lorsqu’on entre dans le cellier, & que celui-là éteint la lumière sur la cuve, il est donc clair que par l’ébullition ils échappe beaucoup de cet air fixe, ce qui devient une perte réelle pour le vin. Si on doute de cette soustraction de l’air remplissez un vase d’eau, qu’un autre vase rempli de la même eau soit retiré du feu après qu’elle aura bouilli ; enfin, plongez deux pèse-liqueurs parfaitement égaux dans ces deux eaux, même après que la dernière se sera refroidie, le pèse-liqueur indiquera laquelle des deux est la plus pesante, ou celle qui contiendra le moins d’air ; l’ébullition a donc déjà privé le moût & le raisin bouilli, d’une assez grande partie de son air fixe, tandis que la dissolution du miel en ajoute de nouveau dans le moùt.

Ceux qui ne connaissent pas les loix de la fermentation, se récrient aussitôt, & disent, un tel vin doit avoir le goût mielleux : ce raisonnement est faux, la fermentation fait perdre & anéantit l’amertume de l’aloès & de la coloquinte, comment ne détruira-t-elle donc pas le goût mielleux ?

Combien de fois ne s’est-on pas trompé & n’a-t-on pas pris de l’hydromel (voy. ce mot) bien vieux pour du bon vin d’Espagne ? cependant ce n’est que du miel ajouté & délayé dans l’eau, jusqu’à ce qu’elle puisse supporter un œuf ; & le tout placé dans un lieu assez chaud pour qu’il fermente. Il est impossible, après un certain nombre d’années, de reconnoître le goût de miel dans l’hydromel.

Ce goût ne peut être sensible après la fermentation tumultueuse, & beaucoup moins encore après l’insensible qui perfectionne & raffine les mélanges que la première a dégrossis ;

1 °. parce qu’on travaille une plus grande quantité de matériaux, que pour faire communément la barrique d’hydromel ; 2°. parce que le moût, même miellé, est plus délayé & moins sirupeux que l’eau miellée qui donne l’hydromel ; 3°. parce que le raisin donne plus d’air que le miel, ce qui agite, échauffe & atténue davantage les parties intégrantes de la matière ; 4°. parce que le véhicule dans l’hydromel est l’eau, tandis que dans l’opération présente, c’est un composé de substances qui ont chacune leur goût particulier, & que d’ailleurs le miel ne fait ici qu’une très-petite partie de la masse. Je consens à dire que ces raisonnemens ne prouvent rien, & qu’il faut recourir à l’expérience : elle est si facile à exécuter,