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CHAPITRE PREMIER

Du temps auquel on doit couper le Foin.

Il est impossible de fixer l’époque décisive de la fauchaison : comme la température des années ne se ressemble pas ; comme, dans une même paroisse, les sites, les expositions, les abris sont différens, la coupe de l’herbe doit donc être relative à ces différentes conditions. L’inspection la décide mieux que tel quantième du mois, de la lune, ou la fête de tel ou de tel Saint. Les époques fixes tiennent à l’abus le plus criant ; on doit consulter l’année & les circonstances.

Pourquoi recourir à des époques, lorsqu’on a sous les yeux le livre de la nature ? Sachons y lire, & nous ne nous tromperons jamais. Le grand point est d’avoir un fourrage nourrissant, & qui conserve son odeur & sa couleur verte, c’est à quoi se réduit toute l’opération.

Pour connoître ce qui constitue un fourrage nourrissant, suivons en abrégé les différentes périodes de la plante. En général, jusqu’à ce que la fleur paroisse, la plante végète ; elle est surchargée d’eau de végétation, la sève est trop aqueuse & pas assez élaborée. La fleur paroît ; l’herbe ne croît presque plus, & toute la substance est portée vers la fleur. Il semble que la nature fait les plus grands efforts pour que la fleur & les principes de fécondation qu’elle contient, au moyen des étamines & des pistils, (voyez ces mots) assurent la reproduction de la graine. À cette époque, la plante regorge de sucs, & cet approvisionnement se dissipe peu à peu à mesure que la graine mûrit : la plante est desséchée lorsque la graine est mûre. Il n’en est pas du fourrage comme des autres plantes graminées, uniquement cultivées par rapport à la récolte de leurs grains ; il faut attendre leur maturité. C’est l’herbe qu’on recherche dans le fourrage, & non pas le grain : il faut donc saisir le moment où la plus forte masse d’herbe contient les principes nutritifs dans la plus grande abondance, & c’est précisément à l’instant que la fleur noue, & que le grain se forme. Il est alors vraiment sucré (dans les plantes graminées des prairies), comme il l’est dans les fromens, seigle, orge, avoine, &c. ; on s’en convaincra en mâchant un de leurs grains. Aussitôt que cette partie sucrée n’existe plus par l’avancement du grain vers sa maturité, le fourrage quelconque, même des blés, est plus nuisible qu’utile aux animaux ; il aigrit dans leur estomac. Chacun connoît les funestes effets, sur les chevaux, de l’orge en vert & un peu avancé. Prenons le goût pour guide : mâchez, par exemple, une tige du fromental qui constitue la majeure partie de l’herbe des prairies naturelles. Si on la mâche long-temps avant la fleur, on n’éprouvera qu’un goût fade, insipide, herbacé. Si on la mâche au moment de la fleuraison, le principe sucré sera un peu développé, mais en grande partie masqué par le goût d’herbe. Si on la mâche lorsque le grain est noué, & lui-même dans un état sucré, on trouvera peu de goût d’herbe, & une saveur très-sucrée (proportion gardée). Enfin, lorsque la graine sera mûre, nul goût d’herbe, & presque plus de principe sucré.