Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1784, tome 5.djvu/280

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Lorsque la gelée survient pendant que les arbres sont en fleurs, & lorsqu’ils ne sont pas chargés d’humidité, ou couverts par la neige ou par l’eau des pluies, la gelée n’endommage aucunement les fleurs. Si ces fleurs sont humides, & que le temps reste brumeux & couvert ; enfin, lorsque la gelée se dissipe petit à petit, il y a peu ou presque point de dommage ; mais si le soleil paroît avant que la gelée soit dissipée, tout est perdu.

Les vignes entourées de grands arbres, ou placées près des forêts, ou plantées dans de bas-fonds, craignent plus les effets de la gelée que les autres, parce que les arbres ou le local concentrent, attirent & entretiennent l’humidité qui ne peut être dissipée que par un courant d’air.

Je ne discuterai pas si l’effet de la gelée dépend d’une plus grande quantité de sels répandus dans l’air, ainsi que M. de Lahire a voulu le prouver dans le Tome IX des anciens Mémoires de l’Académie des Sciences, ou d’une soustraction d’une grande partie du principe ignée de l’atmosphère, ou enfin de la seule évaporation de l’humidité. Cette question, purement physique, n’est pas du ressort de cet Ouvrage, & m’entraînerait trop loin ; mais il convient d’examiner par quel mécanisme la gelée détruit les fleurs & les jeunes bourgeons, lorsque le soleil paroît, parce que, de cet examen, il en résulte des règles pour la pratique.

J’ai déjà dit que la petite couche de glace qui couvre les fleurs, les bourgeons, se séparoit en gouttelettes, lorsque la chaleur des rayons du soleil commençoit à la faire fondre ; que ces gouttelettes pénétrées & traversées par les rayons du soleil, les concentroient en un foyer, de la même manière que la loupe ou les boules de verre remplies d’eau ; enfin, que comme ces gouttelettes étoient multipliées à l’infini, & infiniment petites, elles correspondoient, pour ainsi dire, à chaque pore de la fleur, du bourgeon & de la feuille, & que, par ces foyers rapprochés les uns des autres, la texture de la fleur étoit flétrie, desséchée & calcinée ; enfin, que deux ou, trois jours après elle tomboit en poussière. J’ai expliqué de la même manière les effets de ces coups, de soleil violens, lorsque l’atmosphère est vaporeuse, & lorsque, pour me servir d’une expression usitée, quoiqu’impropre, le soleil est entre deux nuages. Alors, & pour ainsi dire, en un clin d’œil, les feuilles des vignes, des arbres, &c., sont grillées & prêtes à tomber en poussière ; il est rare que la plante survive à leur chute.

Des auteurs très-estimables ont une façon de voir & de juger différente de la mienne. Je laisse au Lecteur le choix de se décider ou pour l’une ou pour l’autre. Ils pensent que, pendant la gelée, toutes les parties des fleurs, des feuilles, des bourgeons qui commencent à éclore, sont dans un état violent de contraction, & que toute circulation est suspendue dans les vaisseaux séveux ; que cette circulation recommence ; que la contraction cesse à mesure que le froid diminue ; mais si le soleil donne trop promptement sur les fleurs avant qu’elles aient repris leur élasticité naturelle, il ouvre trop promptement leurs pores res-