Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1784, tome 5.djvu/518

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second d’un mérite égal. Par ce labour, on présente aux gelées une très-grande surface de terre soulevée. Fût-elle en mottes, en grande pièces, &c. les gelées les pénétreront ; l’eau glacée, interposée entre chaque molécule de terre occupera un plus grand espace, divisera ces molécules ; au premier dégel, la terre s’émiettera, & après deux ou trois petits dégels ou une pluie, le sillon se trouvera comblé, & il ne paroîtra plus de mottes. Ce changement de forme n’a pas été opéré sans un grand mélange & une grande division des molécules terreuses. Je demande si ce n’est pas-là le grand but qu’on se propose dans tous les labours, & si aucun produit un effet plus marqué que celui donné avant l’hiver ?

L’hiver est vraiment une saison morte, lorsque la neige tient ensevelis, dans leurs maisons, les habitans des montagnes ; c’est pourquoi il seroit essentiel que les curés, les seigneurs des paroisses, introduisissent quelqu’espèce d’industrie, afin d’occuper utilement ces malheureux. Le tour, dans des pays à buis, la filature des laines, du lin, du chanvre, du coton : lorsque l’on a bonne volonté, les ressources ne manquent pas ; on gagne peu, il est vrai, mais l’on gagne toujours assez pour soutenir son existence.

Je ne vois aucun jour d’hiver qui ne puisse être par-tout employé utilement. Sous un air naturellement froid ou pluvieux, & où l’on ne cultive que du grain, alors on bat en grange ; (voyez ce mot). Ailleurs, on nettoie & on ouvre des fossés, pour mettre à sec les terres submergées, ou afin de prévenir les dégradations des champs. Cet objet est par-tout, en général, trop négligé. C’est le temps, lorsqu’il ne pleut pas, de transporter les terres, les engrais, les fumiers ; de tailler les arbres, de préparer les bois de chauffage, d’abattre ceux de charpente ; s’il pleut, de travailler les outils d’agriculture, d’en préparer un grand nombre de surnuméraires, afin de ne pas perdre un temps précieux au retour de la belle saison. À l’exemple de la nature, employons le temps d’hiver à la réintégration de tout ce qui doit servir dans le courant de l’année. Les journées sont courtes, il est vrai ; mais à l’aide d’une lampe toujours peu dispendieuse, on prolonge le travail intérieur. J’ai vu un bon & riche fermier, dont l’esprit étoit aussi fécond qu’amusant. Son imagination lui fournissoit le récit de mille faits à la portée de la classe d’hommes qui l’écoutoient. Chaque soir, on prenoit l’ouvrage, il s’y mettoit lui-même ; & lorsque tout son monde étoit rassemblé, il commençoit ses récits, qu’il avoit l’art de prolonger, pour les interrompre ensuite à l’endroit le plus intéressant, afin d’exciter & entretenir la curiosité si utile à l’avancement de ses travaux. Si un valet avoit oublié un outil, il étoit exclu de l’assemblée, & privé, par ce moyen, d’entendre la suite de ce qui l’avoit si fort attaché la veille. Par ce moyen, le travail, une fois commencé, n’étoit plus interrompu, & il est aisé de juger combien il le faisoit d’ouvrage en peu d’heures. Comme les valets étoient bien nourris, bien payés & bien réjouis, ce fermier avoit toujours les meilleurs du canton, & sa simple philosophie lui procuroit des