Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1785, tome 6.djvu/359

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Je ne sçais si la semence de toutes les espèces de lupins peut servir de nourriture à l’homme ; mais celle du lupin blanc devient une ressource dans le besoin. Dans certains cantons du Piémont, & en Corse, son usage est fréquent. Dans cette isle on fait macérer la semence dans l’eau de mer que l’on change deux ou trois fois ; on réduit ensuite cette semence en pâte, à laquelle on ajoute un peu d’huile, & on fait cuire le tout dans un four comme un gâteau. Si l’huile avoit été moins puante, j’aurois trouvé cette préparation assez bonne. L’eau douce produiroit le même effet sans doute, & enleveroit l’amertume de l’écorce de la graine, si on avoit la précaution de la faire macérer dans une eau alkaline, par exemple, dans une lessive faite avec des cendres, & aiguisée par un peu de chaux, à peu-près de la même manière qu’on enlève l’amertume de l’olive. En sortant ces graines de la lessive, on doit les laver à grande eau courante. Toute l’amertume réside dans l’écorce. Les Corses cherchent moins de façon, & les Piémontois se contentent de faire macérer la graine dans l’eau commune qu’ils changent plusieurs fois.

Cet aliment étoit connu des anciens, & Pline rapporte que Protogene n’avoit vécu que de lupins, pendant qu’il étoit occupé à peindre un célèbre tableau.

Columelle, en parlant des légumes, dit : le lupin est celui qui mérite la première attention, parce qu’il consomme le moins de journées, qu’il coûte très-peu, & que de toutes les semences, c’est celle qui est la plus utile pour la terre ; car le lupin fournit un excellent fumier pour les vignes maigres, pour les terres labourables, outre qu’il vient dans les terreins épuisés, & que lorsqu’il est serré dans un grenier, il dure éternellement. On donne le grain à manger aux bestiaux pendant l’hiver, cuit & détrempé, & il leur est très bon. Il peut être semé au sortir de l’aire, & il est le seul de tous les légumes qui n’ait pas besoin d’avoir été gardé préalablement dans le grenier. On peut le semer, ou dans le mois de septembre, avant l’équinoxe, ou incontinent après les calendes d’octobre, dans les terres qu’on laisse reposer, sans les labourer ; & de telle façon qu’on le seme, la négligence du colon ne lui fait jamais tort. Cependant les chaleurs modérées de l’automne lui sont nécessaires, afin qu’il prenne promptement de la force ; car lorsqu’il n’a pas pris de consistance avant l’hiver, les froids lui sont préjudiciables. Le mieux est d’étendre le lupin qu’on a de reste après qu’on l’a semé, sur un plancher dont la fumée puisse approcher, parce que si l’humidité le gagnoit, il seroit piqué des vers[1], & que dès que ces insectes en auroient rongé les germes, les restes ne pourroient plus pousser. Il se plaît, comme je l’ai dit, dans une terre maigre, & surtout dans la terre rouge. Il craint l’argille, & ne vient pas dans un terrein limoneux. Col. Liv. II. Chap. X. Les Romains, pendant leur séjour

  1. Note du Rédacteur. Les lupins sont également piqués des insectes, quoique tenus dans des endroits trés-secs.