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en retirent : l’aventure des dix mille Grecs, rapportée par Xenophon, en est une preuve. Arrivés près de Trébisonde, où ils trouvèrent plusieurs ruches d’abeilles, les soldats n’en épargnèrent pas le miel ; il leur survint un dévoiement par haut & par bas, suivi de rêveries & de convulsions ; ensorte que les moins malades ressembloient à des personnes ivres, les autres à des furieux ou des moribonds ; on voyoit la terre jonchée de corps comme après une bataille : personne, cependant, n’en mourut, & le mal cessa le lendemain, environ à la même heure qu’il avoit commencé, de sorte que les soldats se levèrent le troisième & quatrième jour ; mais en l’état où l’on est après avoir pris une forte médecine. M. de Tournefort, qui cite ce passage de Xenophon dans la dix-septième lettre de son voyage du Levant, pense que ce miel avoit tiré sa mauvaise qualité de quelques-unes des espèces de chamœrhodadenaros qu’il a trouvé auprès de Trébisonde. Heureusement, dans nos climats nous n’avons point de miel qui ait des qualités mal-faisantes.


Section VI.

Des différens usages auxquels le miel est employé.


Depuis qu’on a découvert le sucre, le miel n’est plus d’un usage aussi fréquent : les anciens, qui ne connoissoient pas le sucre, se servoient beaucoup du miel pour l’apprêt de leurs mets ; ils le mêloient aussi, si nous en croyons Virgile, avec le vin âpre & dur, pour corriger ses mauvaises qualités. Quelques-un le regardoient presque comme un remède universel, & le croyoient propre à préserver de la corruption, & à prolonger la vie. Pythagore & Démocrite ne prenoient point d’autre aliment que du pain avec du miel, dans la persuasion que cette nourriture prolongeroit leurs jours. Pollion, parvenu à une extrême & belle vieillesse, répondit à Auguste, qui lui demandoit par quel secret il étoit parvenu à un âge si avancé, sans infirmités, qu’il n’en avoit pas d’autre que le miel dont il se nourrissoit. Cette substance étoit en si grande vénération dans ces temps là, qu’on la regardoit comme une nourriture sacrée : aussi, les anciens l’appeloient un don des dieux, une rosée céleste, une émanation des astres. Nous avons aujourd’hui moins de considération pour son origine, & l’usage du sucre, qui lui a succédé, a relégué le miel dans les pharmacies & chez les apothicaires. Les pauvres gens s’en servent encore dans les campagnes, & en font des repas délicieux, parce que le luxe, qui ne peut point pénétrer chez eux, le laisse en possession de leur être d’un usage utile & agréable, & ils en font des confitures qui sont très-bonnes. On en fait encore, dans les pays du nord sur-tout, une boisson très-agréable & très-salutaire, connue sous le nom d’hydromel. (Voyez ce mot)

Les médecins prétendent que le miel échauffe & dessèche, de quelque manière qu’on en use, soit en aliment, soit en assaisonnement. Les tempéramens pituiteux, ceux qui par quelques maladies, ou autrement, abondent en humeurs grossières & visqueuses, ne peuvent qu’en faire un usage salutaire pour leur santé : aussi les médecins ne