Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1785, tome 6.djvu/591

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riture d’un moineau, par an, est au moins de dix livres de grains, & s’il avoit du bled à discrétion, elle excéderoit trente livres. Cet oiseau avale & digère promptement. Quoique très-bien nourri, il n’en vaut pas mieux pour manger, il est toujours coriace & d’un goût peu flatteur. Ainsi, de quelque côté qu’on le considère, il n’est d’aucune utilité.

Le moineau fait trois pontes dans une année, & chacune est de cinq à six œufs ; il est aisé de calculer quelle sera sa population après un certain nombre d’années. Leur nombre effraye. Voici ce, que dit de cet oiseau M. l’abbé Poncelet, dans son histoire naturelle du froment.

« J’ai eu souvent lieu de soupçonner que les moineaux vivent en société ; qu’ils ont entr’eux, sinon un langage proprement dit, du moins des accens variés & expressifs, au moyen desquels ils se communiquent les projets relatifs à leur conservation particulière, & au bien commun de leur république. Car, comment expliquer autrement les avis qu’ils semblent se donner réciproquement les uns aux autres, quand quelque grand danger les menace ? Il en est de même des ruses qu’ils employant, & des précautions qu’ils prennent de concert pour n’être pas surpris ».

» Assailli, tourmenté pendant les trois dernières années que j’ai cru devoir consacrer aux observations relatives à l’agriculture ; excédé par des milliers de moineaux qui paroissoient avoir jeté un dévolu sur ma petite plantation, que n’ai-je point tenté pour les en écarter ! J’ai d’abord eu recours au fusil : mauvais moyen, pernicieux même, puisque pour un moineau que j’abattois, il m’arrivoit souvent de détruire du même coup, de vingt à quarante épis. Les pièges sont sans doute plus sûrs, & n’exposent point au même inconvénient ; mais les rusés voleurs ne tardent guères à les éventer, & à s’avertir les uns les autres, qu’il est dangereux d’en approcher. Enfin, je me déterminai, pour leur inspirer quelque terreur, de planter au milieu de mon champ, un phantôme couvert d’un chapeau, les bras tendus, & armé d’un bâton. Le premier jour les maraudeurs n’osèrent approcher ; mais je les voyois postés dans le voisinage, gardant le plus profond silence, & paroissant méditer profondément sur le parti qu’il leur convenoit de prendre. Le second jour, un vieux mâle, vraisemblablement le plus audacieux, & peut-être, le chef de la bande, approcha du champ, examina le phantôme avec beaucoup d’attention, & voyant qu’il ne remuoit pas, il en approcha de plus près ; enfin, il fut assez hardi pour venir se poser sur son épaule : dans le même instant il fit un cri aigu, qu’il répéta plusieurs fois avec beaucoup de précipitation, comme pour dire à ses camarades : Approchez, nous n’avons rien à craindre. À ce signal toute la bande accourut. Je pris mon fusil, j’approchai doucement. La sentinelle, toujours à son poste, toujours attentive, toujours l’œil alerte, m’aperçut : aussitôt elle fit un autre cri, mais différent de celui qu’elle venoit de faire pour convoquer l’assemblée. À ce nouveau signal, toute la bande précédée de la sentinelle, & sans doute conductrice en même temps, s’envola. Je lâchai mon coup de fusil en l’air pour les intimider : je réussis effectivement