Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1789, tome 8.djvu/759

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du chanvre ; le poisson est mort, mais il n’a pas été enivré. L’on sait combien la fermentation change la propriété des corps. Le lait devient vinaigre, le sirop devient vin : une ébullition d’un an, dit M. Baumé, a ôté la qualité narcotique de l’opium ; une fermentation d’un jour auroit évité à M Beaumê ce long exercice de patience.

La fermentation dans le chanvre produit beaucoup d’air ; & cet air, lorsque le chanvre rouis, est fétide ; c’est de l’air inflammable plus ou moins mixtionné avec d’autres principes volatils du végétal ; par exemple, le gaz putride, l’acide & l’air atmosphérique, son principe recteur, ses huiles atténuées, &c., tout cela s’élève & se répand dans les airs. Le phlogistique, a dit M. Pringle, est sans odeur par lui-même ; mais combiné avec les substances salines & les huiles âcres, atténuées, produites par des substances décomposées, il donne la putridité, comme les eaux stagnantes corrompues, qui sont abondamment pourvues de cet air inflammable mêlé d’autres débris. Il les traverse sans cesse, il ne semble pas leur être adhérent ; les seules grenouilles y vivent. Malheur aux habitans voisins ! malheur encore plus à ceux qui sont forcés, comme les rouisseurs, d’aller souvent remuer ces masses d’infection ! ils y éprouvent les mêmes affections que ceux qui remuent les boues, les vases des étangs & des marais. Lorsque l’air inflammable est seul ou purifié, MM. Scheele & Fontana ont pu l’avaler, le respirer quelque temps sans accident. Si ces eaux stagnantes pouvoient être sans cesse en mouvement comme l’est l’eau de la mer où malgré toutes les sources d’infection, il n’y a point de pourriture ; alors aussi-tôt évaporés que formés, par le secours des vents & des courans profonds, les gaz qui s’en dégagent n’entraînent avec eux aucune autre substance, & la combinaison putride n’a pas lieu, ou au moins n’existe-t-elle qu’instantanément, & ces gaz s’évaporant sans cesse, ne se trouvent pas réunis en une masse assez grande pour nuire.

L’on apperçoit bien la différence qui doit se trouver dans un routoir. Le seul moyen de prévenir l’odeur désagréable & les effets nuisibles du gaz, est donc d’empêcher l’agrégation de ce gaz en masse sensible, puisqu’on ne peut pas empêcher sa production. Tout mouvement imprimé à l’eau dans le voisinage du chanvre, empêchera son mauvais effet, & l’odeur ne pourra pas être plus forte que celle qu’auroit le chanvre dans l’eau courante, où cette odeur est peu sensible. Si le routoir est placé à la chute de l’eau d’une écluse, d’une cascade, d’une retenue d’eau, il ne donne aucune odeur ; mais comme ces moyens ne sont pas toujours possibles, & que ces grandes chutes d’eau dérangent la fermentation de la masse, établissez, pour y suppléer, sur des routoirs communaux, un moulin à vent, dont le moteur s’emploiera à agiter l’eau le plus profondément possible, & dans toute sa hauteur. Placez-le au milieu des monceaux de chanvre ; & comme cette eau n’aura point de courant, le moindre vent suffira pour faire tourner sur son axe un simple pignon ailé, qui battra bien l’eau de toute la