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« J’ai lu dans votre journal l’avis important de M. Martin, du Dauphiné, sur le blé-noir qu’il nomme de Tartarie, & qui a été apporté en France du nord de la Sibérie, par un missionnaire du Bas-Maine ».

Il y a six ans que j’eus l’honneur de présenter aux États de Bretagne un mémoire de ce blé-noir, jusques alors inconnu dans ce royaume, & je lui donnai la vraie dénomination de blé-noir de Sibérie ; l’éloge distingué que M. Martin fait de ce grain, & qui n’est pas exagéré ; ses observation, formées d’après un examen suivi & bien raisonné, prouvent les vues patriotiques & le désir qu’il a de venir au secours de l’humanité, en faisant connoître & multiplier dans sa patrie une espèce de blé si avantageux. Pénétré du même sentiment, je me fais un plaisir & un devoir de concourir, avec M. Martin, au bien général. Je vous prie, pour cet effet, d’insérer dans votre journal quelques observations également utiles & nécessaires a la propagation de ce grain.

Depuis un an je cultive avec un soin particulier & avec beaucoup de succès le blé-noir de Sibérie. Je fus déconcerté d’abord par son amertume insupportable, en le traitant comme celui du pays, mais L’abondance de son produit m’empêcha de me rebuter j’analysai ce grain, & je découvris que toute son amertume provenoit de son écorce, il ne s’agissoit plus que de trouver un procédé qui séparât exactement la farine de l’écorce : le voici. On exhausse la meule supérieure du moulin, de façon que le grain ne soit que froissé & que l’écorce tombe entièrement dans le bluteau avec la farine, & telle que nous la remarquons dans le grenier après le ravage des souris. On ne doit pas s’étonner si plusieurs de ces écorces sont pleines de farine pulvérisée, la secousse du tamis l’en dégagera parfaitement, alors on aura une farine nette, bonne, bienfaisante, sans amertume, très--sèche, & prenant par cette raison beaucoup plus d’eau que celle du pays, ce qui constitue la supériorité de sa qualité.

Tout le monde sait combien le paysan est attaché a ses anciennes routines, que la moindre difficulté le rebute, & que pour lui faire adopter une nouvelle culture, il faut lui en démontrer bien clairement l’avantage, encore ne prendra-t-elle chez lui qu’à la longue & de proche en proche ; il est donc nécessaire qu’il soit bien instruit des moyens d’écarter l’amertume du blé de Sibérie, ou il en abandonnera la culture dès la première récolte.

M. Martin a raison d’exiger des labours préparatoires qui doivent même précéder de beaucoup la semence, sur-tout dans les terres fortes : j’ouvre ma terre au commencement d’avril, & dans les premiers jours de juin, je lui donne un second labour, je la herse pour la faire s’aoûter, ensuite je l’engraisse, & quand elle est bien réduite en poussière par le soleil & les labours, je la sème à la fin de juin, autant que je le peux, par un beau temps qui annonce néanmoins une pluie prochaine. De cette façon d’opérer, j’ai pour résultat quatre-vingt pour un & quelquefois beaucoup au-delà à la nouvelle récolte de ce grain ; & le froment que je lui fais succéder l’année suivante est abondant & beau.