Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/74

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lines, qui se réunissent ensuite par la cristallisation. Par quels procédés la nature parvient-elle à former ce sel ? c’est un problème laissé à résoudre aux chimistes : ils sont assez d’accord entre eux que le nitre est produit par le mélange putréfié des substances animales & végétales ; mais comment une terre qui a été lessivée, dont on a enlevé tout le nitre, redevient-elle nitreuse & bonne à être lessivée de nouveau, après qu’elle a été pendant quelques mois exposée au courant d’air sous des hangards ? La solution est embarrassante.

On trouve le salpêtre tout formé sur les parois des murs des caves, des écuries, près des fosses d’aisance. Il y est même cristallisé en filets ou aiguilles très-fines : on peut l’appeler naturel & pur, tandis que celui que l’on obtient par les manipulations, ne le devient qu’après qu’on a précipité l’eau mère ou nitre à base terreuse. MM. les Régisseurs généraux des poudres & salpêtres publièrent par ordre du Roi, en 1777, une instruction très-détaillée sur l’établissement des nitrières & sur la fabrique du salpêtre. Elle a été imprimée à l’imprimerie royale. Cette instruction, claire, précise, à la portée du plus commun des lecteurs, suffit pour engager les cultivateurs, dans chaque province, à établir chez eux des nitrières, & leur étendue sera proportionnée à leurs facultés. J’ai vu dans plusieurs villages un procédé bien simple. Les habitans rassembloient les eaux pluviales qui couloient dans les rues, dans des fosses où l’on jetoit une quantité suffisante de terre, (le pays étoit crayeux) jusqu’à ce que cette terre eût absorbé l’eau & formé une pâte. On la retiroit de la fosse, sur les bords de laquelle on la plaçoit, & l’eau superflue y retomboit. Quand cette masse humectée étoit assez ressuyée, on la transportoit, non loin de là, dans des moules à peu près semblables à ceux dont on se sert pour construire en pisai, (consulter ce mot), avec cette différence qu’on ne pisoit pas cette terre : elle finissoit de se ressuyer dans ces moules, hauts de quatre à cinq pieds sur un pied de diamètre ; quant à la longueur, celle des moules la détermine : étant presque sèche, on enlevoit les moules, & cette espèce de mur restoit exposé à l’air. Douze à quinze jours après l’enlèvement des moules, (l’opération commence au printems) le salpêtre se manifestoit sur la surface des murs, & chaque semaine, pendant les grandes chaleurs, on le faisoit tomber avec un balai, & la terre détachée avec le nitre étoient portés dans la cave du lessivage. À la fin de l’été le mur étoit réduit a rien ; toute son épaisseur & sa hauteur ayant été enlevées par couches successives. On auroit pu les couvrir, afin d’empêcher que les pluies n’entraînassent le salpêtre, mais cet inconvénient n’en faisoit point perdre : au pied de chaque mur étoit ménagé une petite rigole, qui conduiroit les eaux pluviales salpêtrées dans la grande fosse, & imbiboit & enrichissoit la terre qui devoit servir à son tour à la construction de nouveaux murs. Je puis certifier qu’à la fin de la saison ces murs avoient rendu une assez grande quantité de salpêtre.

Je suis fâché que l’abondance des matières ne me permette pas d’entrer ici dans les détails de la fabrication du salpêtre : cette petite branche d’économie seroit avantageuse &