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du dessous de leurs pieds ; les marchands de gibier savent donner cette teinte aux pieds des lapins domestiques, en faisant roussir le poil au feu ; mais il est aisé de reconnoître cette petite fraude, soit par l’odeur de brûlé, soit par la facilité d’effacer la tache artificielle, en la lavant avec de l’eau.

On peut espérer de mettre les arbres fruitiers à l’abri de la dent rongeante du lapin et du lièvre, en plaçant au pied de ces arbres de la suie, qui sert en même temps d’engrais et de défense. La suie qui résulte des opérations chimiques est préférable à celle des cheminées ordinaires, parce qu’étant plus pesante, les vents ne l’enlèvent point, et que son odeur est plus forte et plus durable. Olivier de Serres indique un moyen en usage de son temps, et qu’il est bon de rappeler, pour mettre des bornes aux courses dévastatrices des lapins sauvages, et en préserver les champs, les vergers et principalement les vignes, dont les bourgeons sont fort de leur goût. L’on avoit observé que l’odeur du soufre allumé les fait fuir, et l’on formoit avec un saule ou tout autre bois qui s’enflamme aisément, de petits échalas que l’on fichoit en terre d’un bout, et que l’on trempoit de l’autre dans le soufre comme les allumettes. Ces bâtons se plaçoient sur le terrain, en laissant entre chacun une distance d’environ une toise ; le feu se mettoit au bout soufré, et l’odeur que répandoit une lente combustion tenoit les lapins éloignés des plantes qu’ils auraient pu endommager. Cette odeur dure pendant quatre à cinq jours, après lesquels on renouvelle l’opération, s’il en est besoin.

Si l’on ne se trouve pas dans une situation qui permette de peupler de lapins tout un canton, sans l’exposer à de grands dégâts, on peut former avec beaucoup d’avantages des garennes forcées, c’est-à-dire des enclos où des lapins se nourrissent et se propagent. Plus ces enceintes se rapprochent, par leur étendue, des garennes ouvertes ou garennes libres, plus les lapins se rapprochent eux-mêmes de l’état de nature ou de liberté qui, leur laissant le choix des courses et de la nourriture, donne à leur chair une saveur et un prix que, quelque soin que l’on prenne, l’on ne rencontre jamais dans le lapin domestique.

Le sol le plus propre à l’établissement d’une garenne forcée est un sable terreux, dans lequel les lapins puissent creuser facilement, et qui est assez compacte, pour que leurs travaux souterrains ne soient point détruits par les éboulemens. Des rochers épars sur ce sol léger le soutiennent au milieu des nombreuses excavations de ses habitans, et s’il est élevé et exposé au levant ou au midi, on aura la situation la plus désirable. Des arbres et des arbustes doivent l’ombrager ; quand la nature n’a pas fait les frais de cette plantation, il faut y mettre, de préférence, toutes les sortes d’arbres fruitiers qui abondent en bois, tels que poiriers, pommiers, cerisiers, pruniers, cormiers, etc., et dont les fruits sont recherchés par les lapins ; les chênes, les arbres et arbrisseaux, sauvages les plus touffus, l’orme dont les racines donnent un excellent goût aux lapins qui s’en nourrissent pendant l’hiver, le thym, le serpolet, le basilic, la lavande et d’autres plantes odoriférantes qui parfument leur chair, le roseau dont le bas de la tige lui fait prendre une saveur douce, le genièvre qui lui communique son odeur aromatique, etc. Les saules, les peupliers, les osiers et autres bois qui se plaisent dans les lieux aquatiques, doivent être rejetés de la garenne ; les lapins qui s’en nourrissent contractent un goût désagréable. Si la plantation n’est pas assez spacieuse ou assez avancée pour fournir à la pâture des lapins, on y supplée par des semis d’orge et d’avoine. La quantité d’arbres