Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/265

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guérir de la manie de vouloir coloniser. La France doit s’attacher à augmenter la quantité des productions si variées que lui offre son sol ; elle doit fabriquer elle-même ses produits bruts ; et c’est alors que son commerce prendra un accroissement prodigieux, sans être le jouet des vicissitudes désastreuses auxquelles il n’a cessé d’être exposé jusqu’à ce moment.

Nulle matière brute exportée de l’étranger, ou produite sur notre sol, n’est susceptible de donner, dans quelque circonstance que ce soit, une fabrication plus étendue et plus lucrative que celle des laines produites par les mérinos, et par conséquent plus propre à augmenter et à enrichir notre commerce.

Quelle est en effet la matière qui peut recevoir des préparations aussi variées, et des usages aussi divers ? Les vêtemens qui servent aux riches et aux indigens sont fabriqués en très-grande partie avec la laine du mouton ; cette même matière est employée dans nos ameublemens, ainsi que dans une quantité prodigieuse d’arts et de fabriques. Des applications et des usages aussi variés supposent l’emploi d’une quantité prodigieuse de bras, et par conséquent une source intarissable de population, de prospérité et de richesses. On dit qu’un tiers de la population de l’Angleterre est occupé dans les fabriques de lainage ; ce fait même, en supposant qu’il soit exagéré, peut nous faire concevoir jusqu’à quel point il seroit facile d’accroître l’industrie nationale, en la dirigeant vers l’éducation des mérinos, et vers la fabrication des lainages.

Les avantages dont jouit la France dans ce genre de fabrication, relativement à l’Angleterre et aux autres nations, sont immenses : une plus grande étendue de territoire, un sol plus favorable à l’éducation des moutons, la facilité de trouver, dans quelques années, sur son propre sol, la quantité de laines fines nécessaires à la fabrication des beaux draps, enfin des fabricans plus habiles, et une population plus considérable des deux tiers.

La fabrication des laines en Angleterre, crée annuellement un capital de quatre cent quatre-vingts millions de francs. L’éducation des moutons, et la mise en œuvre de leurs laines, peut facilement créer un capital double en France, si l’on donne à ce genre d’industrie les soins et les encouragemens nécessaires. Une considération non moins importante, c’est qu’il n’est pas sujet aux caprices de la mode et du goût ; et si la guerre peut lui porter quelques atteintes, elle ne sauroit le renverser. Si l’on calcule les sommes énormes que le gouvernement et les particuliers ont enfouies depuis un siècle dans nos colonies, et les bénéfices qui en sont résultés pour le public ou pour les particuliers, on se convaincra qu’avec beaucoup moins d’éclat, et infiniment moins de dépenses, la France eût trouvé, dans le genre d’industrie dont nous parlons, une source de richesse plus abondante, et qui eût été intarissable pour les générations présentes et à venir.

La France qui, chaque année, importoit d’Espagne, avant la révolution, pour la valeur de vingt à vingt-cinq millions tournois de laines fines, sera bientôt dispensée de payer ce tribut au commerce étranger, si l’on continue de se livrer à l’éducation des mérinos, ainsi que tout porte à le croire ; et nous ne verrons plus les Anglais importer en France les draps de leurs fabriques. Cette nation, qui cherche à envahir le commerce du monde, avoit trouvé, plusieurs années avant la révolution, le moyen d’en faire passer annuellement, sur nos marchés, pour la valeur d’un million de francs.

§. VIII. Époques où les mérinos ont